Ces molécules chimiques sont-elles réellement dangereuses·? Faut-il davantage réglementer leur utilisation en vertu du principe de précaution inscrit dans la constitution? Les réponses de François Veillerette, président du Mouvement pour les droits et le respect des générations futures et d’Action citoyenne pour les alternatives aux pesticides et de Jean-Charles Bocquet, directeur général de l’Union des industries de la protection des plantes.

Les industriels peuvent ils garantir scientifiquement l’innocuité des pesticides qu’ils commercialisent ?

Jean-Charles Bocquet. Les travaux de recherche entrepris par les industriels comprennent toute une batterie de tests. A l’issue de ces tests toutes les molécules susceptibles de présenter des risques pour la santé sont écartées. Sur 150 000 produits testés, un seul parvient à passer tous les cribles. Une fois que les molécules sont sélectionnées, 300 à 400 tests sont réalisés afin de bien connaître leurs caractéristiques et les risques qu’ils pourraient présenter. Une fois le dossier réalisé, il est transmis à des structures d’expertises au niveau européen et au niveau national.

François Veillerette. Ces produits sont loin d’être anodins. Leurs caractéristiques intrinsèques se révèlent souvent effrayantes. Parmi toutes les matières recensées en Europe, près d’une centaine sont des cancérigènes probables ou des neurotoxiques, une cinquantaine des perturbateurs du système hormonal. Les évaluations réalisées ne garantissent pas l’innocuité totale. L’épidémiologie montre que les populations exposées aux pesticides sont plus souvent atteintes par des maladies comme le cancer et par des maladies neurologiques et neurodégénératives du type Parkinson ou Alzheimer, et souffrent de pathologies liées à des déficiences du système immunitaire. Les tests sont effectués sur des animaux de laboratoire comme le rat qui, d’après les toxicologues, ne sont pas de bons modèles toxicologiques car ils ne métabolisent pas les produits de la même manière que nous. Nous utilisons encore des tests anciens et approximatifs. Ceux-ci sont réalisés sur une substance active alors que vous pouvez, au cours d’une même journée, ingérer 5 à 6 résidus de produits chimiques différents en mangeant des fruits et légumes. On ne prend pas non plus en compte la synergie entre les produits. Des molécules individuellement inoffensives pour des insectes par exemple se révèlent être des bombes quand leurs effets se croisent. Pour réduire le risque lié aux pesticides, il faudrait d’une part réduire la toxicité de ces produits ,et, d’autre part réduire leur utilisation afin de diminuer l’exposition générale des populations. Rappelons que le mot «·pesticide·» signifie étymologiquement tuer des ravageurs. Tous ces produits se terminent en «·CIDE·», c’est à dire qu’ils sont tous conçus pour tuer des êtres vivants.

Les autorités administratives françaises disposent-elles des moyens techniques et humains et de l’indépendance nécessaire leur permettant de contrôler efficacement l’entrée sur le marché de ces produits·?

Jean-Charles Bocquet. Historiquement étaient concentrées dans les mêmes mains l’évaluation et la gestion des risques. La loi d’orientation agricole de janvier 2006 a voulu séparer gestion et évaluation des risques. Le travail d’évaluation a été confié à l’AFSSA (Agence française de sécurité sanitaire des aliments) qui a embauché une centaine de personnes chargées d’évaluer les risques et l’utilité liés à ces produits. La Direction du végétal et de l’environnement (DIVE) créée dans le cadre de l’AFSSA donne un avis qui est transmis au ministre de l’agriculture -via la Direction générale de l’alimentation- auquel il appartient d’autoriser ou non la mise sur le marché d’un produit dans des conditions d’emploi précises.

Ce nouveau dispositif met d’avantage de moyens humains et techniques à la disposition du secteur.

François Veillerette. L’ancien système composé de la Commission des toxiques (Comtox) et du Comité d’habilitation ne garantissait pas une totale indépendance de ces instances de contrôle. Nombre des experts de cette administration travaillaient aussi pour l’industrie. Le nouveau dispositif semble donner d’avantage d’indépendance à ces organes de contrôle. Il nous paraît cependant insuffisant de demander au seul Ministère de l’agriculture l’autorisation de mise sur le marché de ces pesticides. Le ministère de la santé et celui de l’environnement devraient avoir également leur mot à dire.

Le principe de précaution inscrit dans la constitution permettra -t-il à l’avenir d’interdire certaines molécules susceptibles de présenter un risque pour la santé publique ?

Jean-Charles Bocquet. Il ne faut pas confondre présence de ces produits dans l’environnement et risque. Les agriculteurs qui sont les premiers à utiliser ces pesticides sont à priori d’avantage exposés que les consommateurs. Pourquoi y a –t-il alors moins de cancers dans le monde rural que dans le monde citadin·? La majorité des études s’accordent à dire qu’il est impossible d’établir une corrélation entre exposition à des pesticides et contraction de certaines maladies.

François Veillerette. Il demeure très difficile pour un individu de prouver un lien entre la maladie qu’il développe et l’exposition a tel ou tel pesticide qu’il a subi au cours de sa vie.

Pour permettre de faire la preuve de manière absolue d’un tel lien de cause à effet, il faudrait pouvoir réaliser des dosages sanguins et corporels des substances et montrer que plus le corps d’un individu recèle de telles substances plus celui-ci risque de contracter telle ou telle maladie. Ce lien de cause à effet est d’autant plus difficile à établir qu’il existe souvent un délai très long entre l’exposition à un pesticide et l’apparition de la maladie. Il a cependant déjà été prouvé scientifiquement que les populations les plus exposées comme les agriculteurs développent plus certains cancers et certaines maladies neurologiques et neurodégénératives et ont plus de problèmes de reproduction que la moyenne de la population.

L’agriculture raisonnée est-elle une alternative crédible à l’agriculture industrielle·?

Jean-Charles Bocquet. C’est à la fin des années 1980 que le concept d’agriculture raisonnée a commencé à se développer. Un groupe d’agriculteurs a souhaité développer des actions allant dans ce sens. C’est à ce moment que nous avons créé avec eux le Forum pour une agriculture raisonnée respectueuse de l’environnement. Celle ci est intéressante car elle force l’agriculteur à raisonner ses pratiques. En 2002, a été publié un référentiel précis a permis d’adopter 98 prescriptions précises.

François Veillerette. L’agriculture Raisonnée est une forme d’agriculture conventionnelle. Elle n’impose aucun objectif de réduction de l’utilisation des pesticides. En 1993 l’UIPP (l’Union des industries de la protection des plantes), le lobby des fabricants de pesticides, a créé le Forum pour une agriculture raisonnée respectueuse de l’environnement (FARRE). Les membres du Conseil d’administration du FARRE ne sont autres que des industriels fabricants des pesticides et des engrais. Cette agriculture peine à décoller malgré un soutien financier énorme des pouvoirs publics complètement noyautés par ce lobby. Dans le même temps, l’agriculture Bio française qui était leader en Europe il y a 25 ans stagne, aujourd’hui, à 2% de la surface agricole utile.

 

Lire·:

Pesticides·: révélations sur un scandale français de Fabrice Nicolino et François Veillerette. Fayard 2007.

www.pesticides-lelivre.com