Dans un appel, l’Art c’est la vie, lancé au printemps 2007 dans le quotidien l’Humanité, qui sera relayé par la revue Art Absolument, 100 artistes plasticiens dénonçaient les dérives de l’Etat français dans le domaine de l’art contemporain. Dans cette pétition, signée par la suite par plus de 1000 d’entre eux, ces artistes s’insurgeaient contre l’action des institutions publiques responsable, selon eux, d’imposer un « art officiel », une «·pensée unique soumise au marché et à la mode, obsédée par l’art tendance et l’art spectacle ».

Ils réclamaient davantage de «·pluralisme, d’équité et de transparence». Vincent Bioulès, peintre signataire de cet «·appel·», et Olivier Kaeppelin, délégué aux arts plastiques, expliquent dans l’entretien qu’ils nous ont accordé quel devrait être, selon eux, le rôle de l’Etat en matière de soutien à la création contemporaine.

L’Etat peut-il «·soutenir sans influencer·» selon la formule de Malraux?

Vincent Bioulès. On a toujours connu un art officiel en France depuis que François 1er fit venir Léonard de Vinci à sa cour. Le pouvoir royal a toujours demandé à des artistes de le représenter afin de cultiver une certaine image de lui même. Aujourd’hui, l’existence même du ministère de la culture induit en quelque sorte une représentation officielle de l’art par le ministère et par les institutions publiques.

L’Etat a besoin d’une représentation officielle. L’Etat n’a-t-il pas tendance à se focaliser sur des artistes qui participent à une forme de représentation de l’Etat français et qui produisent un art à la fois rassurant et spectaculaire ? Ne devrait-il pas, au contraire, accorder plus de place à l’invention et à la liberté·? Quand l’Etat demande à un artiste de le représenter, celui ci doit demeurer fidèle à lui-même. Ne plus changer d’image et s’efforcer de rester ressemblant. Or, l’art par définition doit éviter d’être ressemblant. Des artistes comme Buren et Boltanski qui représentent la France actuellement sont des gens qui ne brouillent pas les cartes. Ils demeurent rigoureusement fidèles à des principes qu’ils ont déterminés à leurs débuts. L’Etat se devrait d’avoir une attention plus grande à la peinture vivante.

Olivier Kaeppelin. L’Etat peut soutenir sans influencer à partir du moment où il n’oublie pas qu’au nombre de ses missions doit figurer une connaissance très précise de toute la scène artistique d’un pays. Qui doit être elle-même confrontée avec la création étrangère. Mais l’Etat n’est pas un musée, un centre d’art ou un Frac. Un musée doit enrichir et diversifier ses collections. L’Etat dispose, lui, d’un formidable outil que constitue sa capacité à aider des initiatives qui ne sont pas les siennes. Qu’elles émanent des collectivités comme des acteurs privés comme les artistes par exemple. L’Etat agit aussi par le biais du Centre national des arts plastiques dont le Fonds national d’art contemporain est un service. Il lui appartient, ici, d’acquérir le meilleur de la création d’aujourd’hui sans considération de notoriété, de genre et de génération. Les musées achètent à partir de l’angle ouvert par l'héritage de leurs collections, les Frac parfois selon des thématiques. L’Etat grâce au CNAP ne doit pas s’enfermer dans de tels prismes et acquérir avant tout selon un principe de curiosité, d'équité que lui permet sa position d'observateur national et international. Il faut avoir conscience qu’une même époque de création artistique est traversée par des genres et des aventures extrêmement différents. Tous ces choix doivent être opérés avec la conscience des diversités de ce champ de la création. Il faut surtout faire attention de ne jamais être complaisant vis à vis des lobbies ou des modes.

L’Etat se devant d’être impartial, sur quels critères doivent s’opérer ces choix de soutenir tel artiste plutôt que tel autre·?

V.B. Il faudrait que toutes les tendances de l’art puissent être représentées avec équité. Or, ce sont les foires qui permettent, à notre époque, aux artistes d’être repérés et d’accéder à une certaine notoriété. Et celles-ci tendent de plus en plus à être gérées et organisées par des commissaires qui travaillent de concert avec des groupes de galeries et défendent un nombre d’artistes déterminés. En valorisant ces derniers financièrement, ils contribuent à imposer leur image. Il ne faut pas s’étonner de retrouver ainsi les mêmes artistes dans toutes les foires à travers le monde. En laissant ainsi de côté quantité d’artistes qui n’ont pu être introduit dans ce cercle fermé.

Les institutions ne peuvent pas réfléchir sur la peinture d’une manière à la fois fantaisiste et libre.

O.K. L’Etat ne soutient et n’aide personne. Par les œuvres, il enrichit le patrimoine du pays en profitant de la qualité d’une création et en lui permettant d’entrer dans un fonds. Il opère en s’appuyant sur certains critères. En quoi consiste telle ou telle œuvre d'art ? Comment est-elle mise en œuvre·? Diversifie-t-elle ou renouvelle-t-elle la création·? Affirme-t-elle sa cohérence, sa subtilité et sa force ? Il lui appartient aussi de situer le projet de l’artiste dans un contexte global en le comparant avec les autres œuvres qui ont été exécutées au même moment et puis, bien sûr, et il y a aussi des œuvres qui s'imposent dans le silence à ceux qui fréquentent l'art depuis longtemps.

L’action de l’Etat ne devrait elle pas tendre vers plus de «·pluralisme, d’équité et de transparence» comme le réclament les signataires de la pétition. Que faudrait-il faire pour y parvenir·?

V.B. Il faudrait à tout prix éviter que les mêmes critiques, les mêmes commissaires se trouvent à la base de l’organisation de l’art en France. A la tête de notre pays centralisé, les institutions disposent d’un pouvoir très grand. C’est le cas des Frac notamment qui présentent des similitudes avec l’organisation cléricale. Ces structures cohérentes répondent à une certaine orthodoxie du progrès. Celle-ci consiste à croire qu’il y a une orthodoxie de l’avant-garde. L’avant-garde par définition n’est pas orthodoxe. Elle échappe aux classifications. A partir du moment où l’on organise la promotion de l’avant-garde dans des institutions, celle-ci se sclérose et produit une image d’elle-même.

La vie et la liberté sont difficilement compatibles avec l’exercice du pouvoir. L’Etat ne peut être représenté par un artiste qui se remet sans cesse en question. Les pays moins centralisés sont beaucoup moins dogmatiques que la France. Une certaine forme de dynamisme et de curiosité ont été abandonnés.

O.K. Je ne comprends pas à qui s’adressent ces artistes à travers cette pétition. Je ne pense pas que la Délégation aux arts plastiques soit concernée par de telles critiques. Dans les différentes commissions constituées à l’initiative de la DAP, la transparence existe bel et bien dans leur composition d’abordavec bien sûr, la présence d'artistes mais aussi de collectionneurs, de critiques. Les personnes qui y siègent sont de générations, différentes, de régions et de professions différentes. Pour se convaincre de notre exigence de pluralisme, il suffit de regarder l’état détaillé des œuvres achetées, par exemple, par le Centre national des arts plastiques. On y trouve des artistes français, des étrangers vivant en France, des dessinateurs, des photographes… Je mets au défi quiconque· de pointer un manque de diversité. Le vrai problème serait plutôt de savoir si l’on n’est pas passé à côté d’artistes méconnus ou, hélas, parfois oubliés. C'est à vous d'aider à les remettre en lumière. Il est, de toute façon, essentiel de garder un œil critique.

Le ministère de la culture est il allé assez loin en matière d’aide aux collectionneurs privés en proposant un prêt à 0% sur les achats d’œuvres d’art entre 5 000 et 10·000 euros·?

V.B. Je pense qu’il faut promouvoir la création de nouvelles collections et permettre à des gens qui gagnent leur vie mais ne sont pas riches de commencer des collections en les y aidant financièrement. En faisant la promotion d’un certain mercantilisme de l’art, en faisant naître dans l’esprit du collectionneur l’idée qu’en achetant un Peter Doig, il réalise un placement, on détruit toute forme de vie artistique. On ne peut pas servir Dieu et l’argent.

O.K. Je suis très heureux qu’une telle décision ait été adoptée. Certains galeristes recourent à cette pratique depuis longtemps en autorisant des paiements à tempérament et sans frais à leurs clients, mais cela ne concerne qu'un petit nombre déjà «·amateur·». Ce système s’inspire du «·Own art·» lancé en 2004 au Royaume-Uni qui a favorisé l’éclosion de 10·000 nouveaux collectionneurs. Le système hollandais du «·Kunst koop·» avait lui aussi permis l’arrivée de nouveaux collectionneurs. J’ai beaucoup défendu cette mesure car je crois qu’elle peut, de manière officielle, toucher des gens qui ne sont pas encore, des amateurs d’art confirmés. Je serais cependant favorable à ce qu’il existe encore davantage de mesures en faveur de l’acquisition d’œuvres d’art par des personnes privées à côté de celles destinées aux entreprises. Mais c’est un premier pas.

Propos recueillis par Eric Tariant

MINI BIOS :

Vincent Bioulès

1938·: naissance à Montpellier

1970·: co-fondateur de Supports-Surfaces

1972·: quitte Supports-Surfaces

1972-1977·: se réapproprie et renouvèle les thèmes du paysage et du portrait

1990·: rétrospective de l’œuvre graphique aux Sables d’Olonne

2006·: exposition Espace et paysage au Musée d’art moderne de Céret

Olivier Kaeppelin

1949·: naissance à Rio de Janeiro

1993 à 1999·: directeur de l’Inspection à la DAP

1999·: directeur adjoint de France Culture

2002-2005·: Conseiller pour les programmes culturels auprès du Président de Radio France

2004·: nommé Délégué aux arts plastiques