Pionnier de l'agroécologie, Sepp Holzer dont la ferme est installée au sud de Salzbourg (Autriche), est à l’origine d’une des plus belles réussites en permaculture. Sa philosophie ? Il faut miser sur la biodiversité et coopérer avec la nature plutôt que la combattre.

 

En Autriche, depuis le succès de sa biographie éponyme qui s’est vendue à 120 000 exemplaires, on l’appelle l’agriculteur rebelle. Bouille ronde et barbe poivre et sel, coiffé d’un éternel chapeau de feutre, Sepp Holzer témoigne depuis 50 ans qu’un autre paradigme est possible. Qu’il existe des alternatives durables et prometteuses à l’agriculture conventionnelle qui épuise les sols et contribue largement au réchauffement climatique.

Au Krameterhof, sa ferme de 45 hectares perchée à flanc de montagne dans le Lungau, pas de monoculture –c’est « antinaturel » et contre productif martèle t-il- mais une extrême diversité de productions végétales et animales en tous genres : légumes, fruits, champignons, herbes médicinales, poissons, écrevisses, porcs, bœufs etc.

Ici, pas de plantes hybrides qui lient l’agriculteur au semencier auprès duquel il doit racheter chaque année ses semences, mais une profusion de variétés anciennes de légumes, céréales et fruits, goûtus et nourrissants. Pas de combat contre la nature à l’aide de produits phytosanitaires et d’engrais chimiques mais une collaboration respectueuse avec l’écosystème et tous les êtres vivants de l’alpage. « Plus un système est diversifié, plus il est stable. Dans ma ferme, je n’ai aucun problème de surpopulation de nuisibles car la nature est parfaite et maintient un équilibre général», souligne t-il.

Sepp Holzer a longtemps fait figure de « cinglé » aux yeux de ses voisins et été regardé avec suspicion par l’administration qui a multiplié les procédures, tracasseries et procès à son encontre.

Dans le Lungau, sa région natale qualifiée de « petite Sibérie autrichienne », beaucoup pensaient que l’expérience serait de courte durée. Cinquante ans après, le Krameterhof se porte comme un charme. Il emploie 4 collaborateurs à mi temps et écoule sa production en vente directe auprès de particuliers et de restaurateurs. Des 20 hectares de terres, en partie stériles, hérités de son père en 1962, Sepp a fait une ferme prospère de 45 hectares qui attire des visiteurs du monde entier. Ici, la biodiversité n’a jamais été aussi grande comme l’a montré une thèse universitaire publiée il y a quelques années. A Vienne, au ministère de l’agriculture, cette approche demeure pourtant méconnue. Thomas Rech, chargé du programme d’aide aux agriculteurs biologiques (l’Autriche est n°1 pour le Bio en Europe avec 20% de la surface agricole utile), est perplexe. « Une ferme en permaculture dans le Lungau, vous me dites ? ».

 

Un précurseur de la permaculture

Pour gagner le Krameterhof depuis le village de Ramingstein, il faut emprunter une petite route cabossée en pente raide slalomant entre les sapins et de rares chalets accrochés aux flancs de la montagne. Après avoir franchi le portail de la ferme et longé le potager, on débouche sur une clairière bordée de deux maisons en rondins de bois. L’une d’elles abrite une boutique où des pots de confitures, de miel, et des flacons de sirops et autres eaux de vie de poires made in Krameterhof s’entassent sur les étagères. La clairière jouxte un jardin forestier. Sous la canopée d’arbres fruitiers, l’étage inférieur est occupé par des fruitiers nains et des buissons à baies sous lesquels ont pris place des légumes et des herbes vivaces au niveau du sol, ainsi que des tubercules et des plantes grimpantes. La production d’un tel jardin dépasse largement celle d’une exploitation en monoculture. Comment expliquer une telle productivité ? « Par les synergies et interactions bénéfiques entre toutes ces variétés, par la coopération qui s’établit entre elles», explique, le sourire aux lèvres, Josef Andreas devant une vingtaine de paysans en herbes venus de République Tchèque, tous fondus de permaculture. Blond et joufflu, le fils de Sepp Holzer a repris la ferme en 2009, laissant son père se concentrer sur l’essaimage de sa méthode à l’échelle internationale.

 

Ouvrir le champ des possibles

La permaculture ? Sepp Holzer recourait à cette approche avant même que le terme ne soit forgé en 1978 par les Australiens Bill Mollison et David Holmgren. Ses principes de base sont bien connus. Il faut avant tout s’inspirer des cycles naturels, favoriser les interactions entre les éléments et leur multifonctionnalité, créer des structures de petite taille mais de haut rendement et jouer sur la diversité.

La permaculture s’efforce aussi de faire une utilisation judicieuse et efficace des énergies renouvelables disponibles en accord avec le biotope. Sur ses terres étagées de 1100 à 1500 m d’altitude, l’agriculteur autrichien a tout fait pour conserver le plus longtemps possible cette ressource précieuse qu’est l’eau. En canalisant les sources, il a créé plus de 70 mares et étangs. Fidèle à l’un des principes de base de la permaculture, en vertu duquel un élément doit remplir plusieurs fonctions, les plans d’eau et les forts dénivelés ont permis de fournir de l’énergie hydraulique qui alimente toute l’exploitation en électricité. Mais aussi une importante réserve halieutique où s’épanouissent une trentaine de variétés de poissons et d’écrevisses. Ses plans d’eau, et ses kilomètres de terrasses aménagées de façon à pouvoir cultiver sur des pentes raides, ont permis de créer également des microclimats bénéfiques aux cultures. Les pierres et les étendues d’eau accumulent la chaleur pendant la journée, et la diffusent pendant la nuit, réduisant ainsi les écarts de température. Résultat : Sepp Holzer est parvenu à faire pousser des milliers d’arbres fruitiers (pêches, poires, abricots, cerises, etc ) à une altitude (1100 à 1500 m) où ils sont d’ordinaire absents. De même, les experts qui clamaient qu’il était impossible de planter des céréales sur ces alpages ont pu observer que le blé, l’épeautre, l’avoine, l’orge et le seigle y parvenaient à maturité. « Cela ne fonctionne que si l’on emploie des variétés anciennes et robustes. Contrairement aux semences hybrides industrielles, elles s’accommodent de sols pauvres et de températures extrêmes », insiste le paysan rebelle.

Ces céréales anciennes, mieux adaptées aux conditions locales, ont le mérite, en outre, d’être beaucoup plus protéiniques, plus nutritives et plus faciles à digérer. « Sa méthode n’est pas forcément reproductible partout, mais Sepp Holzer a le mérite d’avoir bousculé nos paysages mentaux et ouvert le champ des possibles en montrant que d’autres formes d’agriculture sont possibles », insiste Charles Hervé-Gruyer qui codirige la Ferme du Bec Hellouin en Haute Normandie.

 

 

Eric Tariant

 

Pour aller plus loin :

Krameterhof

Keusching 13

A-5591 Ramingstein

Autriche

Tel et fax: +43(0)6475 239

www.krameterhof.at

 

Séjourner :

Landgastof Löckerwirt

Situé à quelques km du Krameterhof, ce charmant hôtel-restaurant, doublé d’une ferme bio, est membre du réseau Slow food autrichien.

Dorfstraße 25

A - 5581 St. Margarethen

Tel.: +43 (0) 6476 - 212
Fax: +43 (0) 6476 - 212 4

www.loeckerwirt.at

 

Lire :

« La permaculture de Sepp Holzer.  L’agriculteur rebelle d’Autriche ». Guide pratique pour jardins et productions agricoles diversifiées » (Editions Imagine Un Colibri, 2012)

« Le guide de la permaculture au jardin » de Karin Mayo. (Editions terre vivante 2014)

« Permaculture. Principes et pistes d’action pour un mode de vie soutenable », de David Holmgren (Editions Rue de l'Échiquier, 2014)