Arrachages de plants de maïs génétiquement modifié, manifestations contre le nucléaire et contre les nanotechnologies·: les résistances aux nouvelles technologies se sont intensifiées ces dernières années. Faut-il y voir des mouvements réactionnaires de refus du progrès·? De nouveaux modes d’opposition à une société industrielle jugée injuste et néfaste·? Ou encore une forme renouvelée de luddisme, ce mouvement conduit par Ned Ludd, qui ébranla le Royaume-Uni entre 1811 et 1816, en détruisant des milliers de machines textiles·?

Yves Cochet et Bernard Debré, deux hommes de sciences qui sont aussi des hommes politiques, livrent leurs réflexions sur le sujet.

 

Que pensez-vous des nouvelles formes de résistance au progrès technique (arrachage de plants de maïs OGM, résistance au nucléaire et aux nanotechnologies) qui se sont intensifiées ces dernières années·? Que signifient-elles à vos yeux·? Y voyez-vous une nouvelle forme de luddisme·?

Yves Cochet. Je ne suis pas sûr que l’on puisse comparer ces résistances aux grandes révoltes luddistes du début du XIXe siècle. Ces manifestations ouvrières des années 1811-1816 étaient alors plutôt d’ordre corporatiste. C’était une réaction émanant d’ouvriers qui se voyaient menacer par une technologie émergeante.

Les manifestations contre les OGM, l’EPR, ITER ou les nanotechnologies témoignent plutôt de résistances citoyennes.

De résistances contre des technologies qui ont une visée totalisante, sinon totalitaire. L’idée qui sous-tend ces programmes scientifiques est que la nature est imparfaite. Ces projets prométhéens d’une maîtrise totale de la nature par une sorte de triomphalisme de la raison risquent de générer des effets indésirables qui dépassent les bénéfices espérés. Jacques Ellul et Yvan Illich ont très bien compris et analysé les limites de ces technologies. Je ne dis pas pour autant que toute science, toute technique ou tout progrès technologique est mauvais. Je ne suis pas obscurantiste. Je constate seulement que le productivisme outrancier a conduit à la «·contre-productivité·» que l’on connaît aujourd’hui.

Bernard Debré. Elles témoignent d’une peur de l’avenir. Il y a toujours eu des peurs·: peurs des antibiotiques, peurs des vaccins, peur de la chirurgie du cerveau. Les faucheurs de parcelles de maïs OGM témoignent de ces peurs ancestrales. Les risques de dissémination et d’hybridation polliniques sont minimes. Il appartient aux opposants aux OGM de faire la preuve que ces produits sont dangereux. Il faut faire confiance à la science et à la recherche. Un certain nombre de maladies dont la variole ont été éradiquées grâce à elles. Il faut regarder avec intérêt tout ce qui apparaît, pousser la recherche. Sans entrenir pour autant une fascination béate à son égard.

Ces résistances ne sont-elles pas encore exacerbées par le fait que ces choix techniques ou technologiques ont été imposés aux populations sans véritable débat public·?

Yves Cochet. En organisant des conférences de citoyens et de prétendus «·grands·» débats nationaux, les dirigeants d’Areva ou de Monsanto veulent nous faire croire qu’il y a plus de transparence que par le passé. Cette parodie de démocratie a atteint son acmé avec l’EPR. Le débat public, organisé par la Commission nationale du débat public, sur l’opportunité de ce réacteur nucléaire dit de «·troisième génération·», a été organisé après que la loi ait été votée et le choix adopté par les députés pendant l’été 2005. C’est d’une totale hypocrisie.

Les décisions sont, aujourd’hui encore, prises par une caste de technocrates. C’était déjà le cas au milieu des années 1970 quand a été fait le choix en toute opacité, sous le gouvernement de Pierre Messmer, de lancer le programme nucléaire français. C’est encore le cas, aujourd’hui, pour les OGM. Je partage l’opinion de l’écrivain et philosophe américain, John Rawles, auteur de La théorie de la justice, qui soutient que résister à des lois ou des gouvernements iniques, est, dans certains cas, légitime.

Bernard Debré. Ces choix ont été soumis à des débats. Il faut poursuivre ce travail d’explication. Expliquer que le choix d’ITER, c’est à dire de la fusion nucléaire, nous permettra de bénéficier d’une énergie propre comme celle du soleil. ITER nous apportera une avancée formidable. Ce, d’autant plus que nous allons nous trouver dans cinquante ans dans une impasse énergétique. Les énergies renouvelables ne permettront pas, à elle seules, de satisfaire à nos besoins.

S’agissant de la résistance aux organisme génétiquement modifiés (OGM), n’oublions pas que ceux-ci existent depuis la nuit des temps. Nous avons pu par exemple, au début du XXe siècle, trouver une porte de sortie à la crise du phylloxéra en important un cep américain issu d’une mutation naturelle et capable de résister au phylloxéra. Il y a plusieurs types d’OGM. Certains sont utilisés pour améliorer le rendement des plantes comme le soja ou le maïs transgéniques. D’autres pour résister à des parasites, permettant ainsi de diminuer les pesticides et les engrais. D’autres encore, comme les OGM de médecine, secrètent des produits indispensables à l’homme comme les nutriments rechargés en vitamine A ou en vitamine D. Ces variétés d’OGM sont toutes intéressantes. Il faut veiller à empêcher que quelques multinationales comme Monsanto s’accaparent ces produits pour leurs seuls bénéfices.

Mais aussi savoir faire preuve d’une certaine prudence à l’égard de ces techniques. Le rôle des politiques est d’expliquer ces choix technologiques. D’inviter nos semblables à se mettre autour d’une table pour réfléchir aux avantages et aux inconvénients de telle ou telle nouvelle technologie.

Le progrès technique peut-il, seul, apporter des réponses aux crises énergétiques et climatiques que nous traversons·? Ces crises ne vont-elles pas remettre en cause notre mode de développement·?

Yves Cochet. Il n’y a pas de solution technologique au problème de la raréfaction des ressources naturelles et du pétrole en particulier. Les solutions ne sont pas d’ordre technologique mais politique. Notre monde n’a jamais été aussi industriel qu’aujourd’hui. Jamais nous n’avons consommé autant de pétrole, de minerais, de ciment. Jamais. C’est une conséquence du dogme de la croissance. Nous nous dirigeons droit vers «·l’Effondrement·» de nos sociétés, selon le titre emprunté au livre récent du biologiste et géographe Jared Diamond. Nous pouvons, aujourd’hui encore, tenter d’amortir ce choc, tenter de le rendre moins douloureux pour une partie de l’humanité en allant vers la sobriété, la simplicité et la solidarité. Il faut, pour cela, que nous réduisions de 80% nos émissions de gaz à effet de serre. C’est à dire que nous diminuons de 3% par an notre consommation d’énergie fossile. Plus nous attendrons, plus les reconversions seront difficiles. Nous devons tendre vers une société de sobriété. Vivre de manière plus simple, plus sobre et plus solidaire. Nous nous dirigerons, que nous le voulions ou non, vers une société de décroissance dans les pays industriels.

Bernard Debré. Une part importante de la pollution que nous subissons, aujourd’hui, est due à l’activité humaine. Un certain nombre de réponses seront apportées par la technique moderne. La fusion que propose le projet de réacteur ITER générera beaucoup moins de déchets que la fission puisque l’on utilisera de l’eau lourde. Iter pourrait, à terme, permettre de pallier la disparition des énergies fossiles.

Yves Cochet est député de Paris et ancien ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement

Bernard Debré est chef du service urologie à l’hôpital Cochin, député de Paris et ancien ministre de la coopération

 

Lire·:

*«·Les briseurs de machines. De Ned Ludd à José Bové·» par Nicolas-Chevassus-au-Louis. Seuil 2006

*«·Les Luddites, Bris de machines, économie politique et histoire·» de Vincent Bourdeau, François Jarrige et Julien Vincent. Ere éditions. 2006.

*«·Fragilité de la puissance·» d’Alain Gras. Fayard.

* «·Le système technicien·», de Jacques Ellul. Le Cherche midi.