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Vous êtes en quête de pistes pour sortir de la sainte Trinité croissance-travail-consommation qui détruit les hommes et la planète ? Et si la solution résidait dans l’allocation d’un revenu de base qui serait versé à tout citoyen sans aucune condition ? Depuis quelques années, l’idée essaime un peu partout à la surface du globe.

 

« Quel travail feriez-vous si votre revenu était assuré ? » Ecrite en lettres blanches sur fond doré, la question figurait au verso d’une carte postale reçue, en Suisse, par des milliers de personnes. Les auteurs de la missive sont Enno Schmidt, un artiste vivant en suisse alémanique, et Daniel Häni, le directeur d’un centre social et culturel sis à Bâle. Les deux hommes sont d’ardents défenseurs du revenu de base : un revenu inconditionnel, cumulable avec d’autres, qui serait versé à tout citoyen, de sa naissance à sa mort, sans contrôle des ressources, ni exigence de contrepartie. Häni et Schmidt sont les réalisateurs d’un film à succès « Le revenu de base-Une impulsion culturelle » qui a été sous-titré en dix langues.

Les principaux objectifs du revenu de base ou revenu d’existence ? Eradiquer la pauvreté, réduire les inégalités et les injustices sociales et émanciper l'individu. Il s’agit d’un véritable changement de paradigme visant à sortir du cauchemar d’une « société de travail sans travail ». De faire un pas de côté pour tenter de trouver une issue au cycle fou de la croissance –véritable syndrome du hamster tournant en rond dans sa cage- pour réduire notre empreinte écologique et cesser de détruire les hommes et les écosystèmes. « Dans un pays riche comme le nôtre, chaque individu doit avoir accès aux biens et services essentiels », insiste Baptiste Mylondo, essayiste et enseignant en économie et philosophie politique.

Pour que ce revenu ait un sens et libère de la misère, il faut qu'il soit suffisant, insiste le philosophe écologiste André Gorz qui s'est rallié à l'idée à la fin des années 1990. Car seul un revenu suffisant permet de refuser les emplois indignes et pénibles tout en donnant aux individus « les moyens de se prendre en charge ».

Des chiffres ? Yoland Bresson, fondateur de l’Association pour l’instauration du revenu d’existence, propose 330 euros par personne et par mois, le collectif POURS (Pour un revenu social, universel et inconditionnel) un montant de 1000 euros, tandis que Bernard Friot, héraut du salaire à vie, réclame, lui, 1500 euros mensuels minimum.

Depuis quelques années, l’idée du revenu de base essaime un peu partout à la surface du globe : au Brésil, en Inde, en Namibie, mais aussi, en Europe, où des banderilles ont été plantées avec plus ou moins de succès, en Finlande, en Espagne et en Suisse.

 

La Suisse et l’Europe en pôle position

« Et si la révolution du revenu de base venait de Suisse ? », s’interrogeait, en mai dernier, le journaliste et activiste Stanislas Jourdan sur le site internet revenudebase.info. Une initiative populaire pour un revenu de base y a été lancée en avril 2012. Le but ? Assurer à tout citoyen un revenu mensuel de 2500 francs suisses (autour de 2000 euros). En juillet dernier, un mois avant la clôture de la phase de collecte, les organisateurs avaient recueillis 125 000 signatures, plus que le seuil des 100 000 paraphes requis.

« Le revenu de base est une réponse à la situation d’insécurité économique que nous traversons. Il constitue aussi le socle d’une émancipation des individus. Quand on dispose d’un revenu de base, on peut se lancer, créer et entreprendre sans souci de la rentabilité immédiate de son projet», souligne Ralph Kundig, le président du BIEN-Suisse, une association fondée en 2001 à Genève et affiliée au réseau mondial, le Basic Income Earth Network (BIEN).

Le projet de loi qui naîtra de cette pétition sera soumis, dans un second temps, au peuple suisse par voie de référendum dans un délai de 1 à 5 ans. L’introduction d’un revenu de base au sein d’une des économies les plus riches et les plus développées de la planète peut surprendre. Pied de nez de la démocratie directe ? «La Suisse joue un peu le rôle de thermomètre en Europe où les citoyens sont privés d'outils démocratiques équivalents. La question d’un revenu de base se pose aussi en Suisse parce qu’il existe d’importantes disparités de revenus, » note Ralph Kundig. Environ 7 à 8% des citoyens y vivent en effet sous le seuil de pauvreté.

L’initiative a-t-elle des chances d’aboutir ? Les pronostics sont partagés. Les Suisses ont adopté, en mars 2013, une autre initiative populaire visant à limiter les rémunérations abusives des grands patrons. Un an auparavant, en revanche, ils ont refusé par référendum d’augmenter de deux semaines la durée de leurs congés payés fixés à un mois. A l’inverse de la plupart d’autres initiatives populaires, le revenu de base n’a obtenu qu’un faible soutien des partis politiques et syndicats. Certains y voient « une prime à la paresse ». Politiques et observateurs prévoient un rejet de l’initiative. « La classe politique est de plus en plus déconnectée des réalités du terrain. Le parlement ne représente plus vraiment le peuple, d’où la multiplication des initiatives populaires fédérales », rétorque Ralph Kundig. Des esprits éclairés et qualifiés dont Guy-Olivier Segond, l’ex président du Conseil d’Etat de Genève qui a dirigé le département d’action sociale de la ville, se sont pourtant prononcés publiquement en faveur du revenu de base.

« Ce sera impossible à financer », dénoncent les opposants. Ce n'est pas l'avis des experts qui ont planché sur le dossier. Les propositions, recensées dans un petit livre publié en 2010 sous la direction du BIEN suisse, ne manquent pas. Bernard Kundig, sociologue du travail, et Albert Jörimann, ancien président du BIEN suisse, chiffrent le coût global du revenu de base pour la Suisse à 162 milliards d’euros, soit 37% du revenu national brut du pays. Ils postulent une opération financièrement neutre pour la collectivité et les entreprises. Celle-ci consisterait à réaffecter dans une large mesure les dépenses sociales qui représentent 109 milliards d’euros. Et de mettre en place un mécanisme de compensation en vertu duquel passé un certain seuil de salaire (4000 francs suisses), le revenu de base -privé de raison d’être- serait remboursé à une caisse spéciale. Bernard Kundig suggère de financer le solde par une augmentation de la TVA, complétée par un impôt fédéral direct à taux fixe d’environ 20%.

 

De Thomas More à Yves Cochet

En janvier 2013, une nouvelle étape a été franchie. Une Initiative citoyenne européenne (ICE) en faveur du revenu de base a été lancée. Les initiateurs de l'ICE ont un an pour rassembler un million de signatures en Europe. Le texte de la pétition ne demande pas à la Commission de mettre en place le revenu de base, mais d'étudier sa faisabilité en lançant des études préliminaires. En juillet dernier, à mi-chemin de la campagne de collecte, la pétition n'avait recueilli que 56 000 signatures. Ce médiocre résultat tient-il à un démarrage tardif du processus lié à la complexité d'utilisation de l'outil informatique? A un dispositif de collecte des signatures controversé ? Ou à l’absence de moyens financiers pour faire campagne ? Les avis sont partagés.

Le revenu de base n'est pas une idée neuve. Au XVIe siècle, Thomas More y faisait déjà allusion dans le Voyage en utopie. A la fin du XVIIIe, le député franco-américain Thomas Paine l'appelle de ses vœux. « Sans un minimum de ressources, le nouveau citoyen ne peut vivre pleinement les principes républicains de liberté, d'égalité et de fraternité,» clamait-il en 1792 à la tribune de la Convention.

Enterrée pendant un siècle et demi, l'idée a resurgi aux Etats-Unis durant les Trente glorieuses dans le programme de George McGovern, candidat à la présidentielle de 1972. En Europe, il réapparaît au milieu des années 1980 avec la création du Réseau européen pour le revenu de base. D'européen, le réseau deviendra mondial, en 2005, sous l'acronyme BIEN : Basic income earth network. En France, l'idée est soutenue principalement par le mouvement Utopia, un laboratoire d'idées et un mouvement transparti situé à gauche. Mais aussi par les Objecteurs de croissance qui militent en faveur d'une Dotation inconditionnelle d'autonomie (D.I.A.) couplée à un Revenu maximum acceptable. Cette D.I.A est conçue comme un projet de décroissance visant à « sortir de la religion de l'économie » et « à se désaliéner du travail. »

Quid des politiques ? Europe-Ecologie-les Verts y fait référence mais peine à transformer l’idée en une proposition politique concrète. A quelques exceptions près- Yves Cochet et Christophe Girard à gauche, Christine Boutin, Alain Madelin et Dominique de Villepin à droite- la plupart font la sourde oreille ou raillent ce projet dans lequel ils voient «l’utopie des utopies » selon les mots de Laurent Fabius.

Pourquoi le revenu de base est-il perçu avec condescendance voir hostilité alors qu'une fraction croissante du revenu des ménages se forme déjà indépendamment de toute participation à l'effort productif ? En Allemagne par exemple, les rémunérations liées à un travail ne représentent que 40 % des revenus totaux de la population. Tous les autres revenus sont issus de la redistribution ou de rentes expliquent Daniel Häni et Enno Schmidt. Ces blocages tiennent-ils à l’héritage de siècles d'éducation qui nous ont enseigné que notre dignité humaine venait du travail ? Ou du poids de la malédiction divine lancée à Adam : « C'est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain » !

Pourquoi le travail continue-t-il d'occuper une telle place dans nos sociétés alors que nous sommes entrés dans une phase de l'histoire caractérisée par le déclin inéluctable de l'emploi comme le soulignait encore, il y a quelques années, Jeremy Rifkin dans son livre la Fin du travail ? Notre société n’est elle pas malade du travail ? Ne faudrait-il pas relativiser son rôle et sa place dans l’existence de chacun ? Une grande partie des richesses réelles et indispensables à la marche de nos sociétés provient d’activités domestiques et bénévoles et d’échanges de savoirs, générés gratuitement sans flux monétaire, qui sont peu reconnues et valorisées car absentes des écrans de contrôle du P.I.B.

Le blocage n'est il pas aujourd'hui davantage d'ordre culturel qu'économique ? « Le défi principal tient à ce que chacun va devoir réapprendre à vivre. La difficulté, c'est la liberté », lance un journaliste allemand en poste à Hambourg aux réalisateurs Häni et Schmit. Décoloniser l'imaginaire occidental, nourri depuis des siècles dans le culte de la « valeur travail », ne sera sans doute pas une mince affaire. « Il faut revenir à l’étymologie du mot métier, « le ministère mystérieux », de façon à appréhender son projet de vie. Le mot « métier » renvoie à la question : « qu’est ce que voulez faire de votre vie ? » Et non : « qu’est-ce que vous faites dans la vie ? », insiste l’écrivain et philosophe Patrick Viveret.

 

Moins d’inégalités et de pauvreté

« Si vous payez les gens à ne rien faire, tout le monde restera à la maison», objecte l’homme de la rue. L’expérience menée en Namibie, de 2008 à 2011 à Otjivero un village pauvre du pays, montre que le revenu de base distribué à la population (l’équivalent de 10 euros par personne et par mois) n’a pas été dilapidé mais utilisé pour créer des nouvelles activités économiques. Les résultats de ces trois années de revenu garanti à Otjivero ? Développement du village, plus grande autosuffisance et meilleure santé de ses habitants, et forte réduction du nombre des personnes vivant sous le seuil de pauvreté.

En Alaska, seul état au monde à avoir expérimenté une ébauche de revenu de base, la question du financement ne se posait pas. C’est en ponctionnant une petite partie de ses ressources pétrolières, que le gouvernement verse, depuis 1982, à tout citoyen un dividende annuel de 1 000 à 2 000 dollars en moyenne. Aux Etats-Unis, l'Alaska est aujourd'hui l'état fédéré où le taux de pauvreté est le plus faible, et le seul état où les inégalités aient régressé ces vingt dernières années.

 

Eric Tariant

 

Pour aller plus loin :

 

Lire :

 « Pour un revenu sans condition. Garantir l’accès aux biens et aux services essentiels». Par Baptiste Mylondo. (Les Editions Utopia, 2012).

« Manifeste pour une dotation inconditionnelle d’autonomie. Un projet de décroissance ». Par Vincent Liegey, Stéphane Madelaine, Christophe Ondet et Anne-Isabelle Veillot. (Les Editions Utopia, 2013).

« Le financement d’un revenu de base inconditionnel. » Sous la direction du Bien suisse. (Editions Seismo à Zurich. 2010)

« L’enjeu du salaire ». Par Bernard Friot. Editions La dispute 2012.

 

Visionner le film « Le revenu de base-Uune impulsion culturelle », de Daniel Häni et Henno Schmidt :

http://www.kultkino.ch/kultkino/besonderes/le_revenu_de_base_film_francaise

 

L'Initiative citoyenne européenne (ICE) pour un revenu de base :

Pour signer la pétition : http://basicincome2013.eu/ubi/fr/signer-initiative/

Plus d’informations sur le signe officiel de l’ICE : http://basicincome2013.eu/ubi/fr/

 

En surfant sur le net :

Le site du collectif POURS (Pour un revenu social, universel, inconditionnel) : http://pourunrevenusocial.org/

Le site du Mouvement français pour un revenu de base : http://revenudebase.info /

Le site du réseau international BIEN : Basic income earth network

Le site rendant compte de la mise en œuvre d’un revenu de base dans plusieurs villages de Namibie de 2008 à 2012 : www.bignam.org/