La Suède est l’un des pays développés qui émet le moins de C02 par habitant. Un succès à mettre au crédit de la fibre écologique des Suédois mais aussi d’une politique publique volontariste. Enquête au pays des lacs, des sapins et des élans, dans une démocratie parlementaire qui s’est fixée pour objectif de préserver le bien être des générations futures.

 

Vue du ciel, elle a des airs de petite clairière perdue au milieu de milliers d’hectares d’épicéas, de hêtres et de bouleaux. A l’approche, on distingue une multitude de petites tâches bleues : les 200 lacs sur lesquels s’étire la cité. Bienvenu à Växjö, la capitale du Smäland, au Sud-Est de la Suède. Il n’y a pas si longtemps la région était surtout connue pour ses verreries et un des fleurons de l’industrie suédoise : le géant Ikéa. C’est à Älmhult, à deux pas de Växjö, qu’Ingvar Kamprad a ouvert le magasin de meuble dont il fera une multinationale aux couleurs du pays. Aujourd’hui, Växjö a détrôné Älmhult. En 2007, cette cité de 83 000 habitants a été consacrée « ville la plus verte d’Europe ». Ici, les émissions de C02 par tête sont inférieures de plus de deux tonnes à la moyenne nationale. Depuis, des bataillons de visiteurs du monde entier, Chinois en tête, se pressent à Växjö en quête du précieux graal vert : des recettes pour sortir des énergies fossiles et contenir le réchauffement climatique. La ville a placé la barre très haut : s’émanciper complètement des hydrocarbures d’ici 2030.

 

Pétrole vert et ossature bois

Un vent frais saupoudre les rues d’une pellicule de neige en ce petit matin de janvier. Kaviar suédois, Havregrynsgröt, -une sorte de porridge-, charcuterie et knäckebröd –des petits pains- sont au menu de notre petit déjeuner. En Suède, c’est le plus important des repas. En route pour la mairie, lesté de ces précieuses calories, pour tenter d’en savoir plus sur l’alchimie de ce succès. Chaperonné par Mia, la chargée de relations publiques de Sustainable Smäland, l’agence chargée de diffuser le savoir faire de Växjö, nous pénétrons dans le bureau du premier magistrat. Elu maire en 2006, Bo Frank, fier sexagénaire aux cheveux d’argent, règne sur une armée de 7 000 fonctionnaires voués à sa cause : la lutte contre le C02. Passionné d’écologie depuis l’adolescence, le maire mange bio, se rend à vélo à la mairie et cumule les trophées internationaux d’excellence en matière environnementale. Sur les murs de son bureau, un portrait un peu raide du roi Carl XVI Gustaf de Suède côtoie celui de son ancêtre Bernadotte, non loin d’un Barack Obama tout sourire. « La réussite de la Suède en matière environnementale tient en grande partie au fait que nous sommes le pays le plus décentralisé au monde », explique Bo Frank d’une voix flutée. Nous avons, au niveau local, de larges marges d’action et des moyens financiers importants qui nous permettent d’agir de manière efficace ».

A Växjö, comme dans le reste de la Suède, élus et simples citoyens ont milité très tôt, dès les années 1970, pour la protection de l’environnement.

Ici, c’est la pollution des lacs baignant la ville qui a été le premier signal déclencheur de la mobilisation. En 1980, après le deuxième choc pétrolier, Växjö fut la première ville de Suède à recourir à la biomasse pour alimenter son réseau de chauffage urbain en lieu et place du fioul. Les réseaux de chauffage urbain ? Ils sont un des points forts du modèle environnemental suédois et une des clés pour comprendre la baisse des émissions de dioxyde de carbone. Ces centrales alimentées par la cogénération –un système qui permet de récupérer la chaleur dégagée par la combustion- se sont multipliées dans les années 1990. Elles fournissent, aujourd’hui, en chauffage et en électricité plus de la moitié des immeubles d’habitation et de service du pays. Nourries presque exclusivement au fioul domestique dans les années 1970, elles sont en 2012 essentiellement alimentées par des biocombustibles qui ne génèrent pas d’émissions polluantes : résidus d’exploitations forestières, déchets ménagers, boues des stations d’épuration.

Perdue au milieu des forêts, Växjö est allée puiser son pétrole vert dans les massifs environnant. Son réseau de chauffage urbain est aujourd’hui exclusivement alimenté grâce à des résidus forestiers. « C’est la taxe carbone qui nous a encouragés à remplacer le fioul par la biomasse à Sandvik, notre centrale de chauffage urbain. A 114 euros la tonne de C02, la biomasse est nettement plus compétitive», note Sarah Nilsson, responsable de projets à l’Agence de l’énergie du Sud-Est de la Suède.

 

Rendez-vous à l’usine de Sandvik, le must de tout voyage d’études dans le Smäland. Plus fréquentée que la belle cathédrale de la ville, elle reçoit chaque semaine des visiteurs du monde entier. Sa cheminée, long crayon gris-noir qui se détache dans le ciel de la ville, se dresse au bord d’un lac. Guidé par Lars Ehrlén, le directeur de l’usine, nous grimpons au sommet d’un des brûleurs. On aperçoit 45 mètres plus bas une série de petits cônes alignés sur le bitume: des tas de copeaux de bois et autres résidus forestiers en attente d’être engloutis par les machines. « Nous nous alimentons dans les forêts avoisinantes dans un rayon de 50 à 60 kilomètres autour de la ville », crie le directeur pour couvrir le bruit ambiant. Depuis l’été dernier, la ville utilise son réseau de chauffage urbain pour climatiser, à moindre coût et sans émissions polluantes, ménages, services et entreprises.

A l’Est de Sandvik, non loin de l’université Linnaeus, se dressent plusieurs immeubles à ossature bois, les plus hauts de Suède. « Construire en bois consomme moins d’énergie qu’avec du béton ou de l’acier. En outre, il permet de stocker le C02 », explique Hans Andren, le coordonnateur du projet « Ville en bois » 2012. Des chercheurs de l’université voisine ont planché pour améliorer l’efficacité énergétique des logements. « Ceux-ci consomment 45 kwh par m2 et par an. Pas mal, non ?» poursuit le fonctionnaire en désignant un bâtiment hérissé de balcons en pins. Au huitième et dernier étage, la vue sur les lacs est époustouflante. Karin Skold, la propriétaire d’un appartement, préfère pourtant nous dévoiler une autre curiosité locale : le compteur électrique intelligent. Celui-ci mesure, heure par heure, la consommation d’énergie du logement « Nous économisons, grâce à lui, environ 30% d’énergie», insiste t-elle.

Informer et communiquer sont les leitmotivs de la municipalité qui fait feu de tout bois pour tenter de changer les comportements de ses concitoyens. Réunions d’information sur les énergies, conseils gratuits pour mieux isoler ou mieux chauffer son logement, diffusion d’un site internet et d’un magazine papier trimestriel sur les enjeux environnementaux, semaine de la « mobilité verte »… La mairie est allée jusqu’à organiser des compétitions entre écoles sur le thème des économies d’eau et d’électricité. A quand le seuil de saturation ? Hans Martens, propriétaire d’une coquette maison au bord d’un lac en périphérie de la ville, éclate de rire. « Les conseils et subventions de la mairie m’ont permis de m’équiper d’une chaudière à granulés de bois en lieu et place de mon ancien chauffage électrique. J’ai ainsi réduit de moitié ma facture d’énergie,» explique t-il, l’air satisfait En Suède, la protection de l’environnement est une préoccupation très diffuse et très consensuelle, partagée par toute la société, pouvoirs publics comme particuliers.

 

Véhicules propres et diésel synthétique

La nouvelle bête noire de la municipalité de Växjö ? Les émissions de dioxyde de carbone issues des transports routiers. Celles ci ne cessent d’augmenter depuis les années 1990. Au niveau national, pour tenter de résoudre ce casse tête, le gouvernement a encouragé l’utilisation de véhicules « propres »  en misant sur de généreuses primes à l’achat, des taxes plus légères et des parkings gratuits. Grâce à ces mesures, les immatriculations de voitures « vertes » ont presque doublé entre 2007 et 2008 à l’échelle de la Suède.

« Växjö était, il y a quelques années, la ville d’Europe où l’on trouvait le plus grand nombre de Toyota Prius rapporté au nombre d’habitants,» s’amuse Sarah Nilsson. Tout acquéreur de voiture hybride recevait, de la municipalité, en plus des aides de l’Etat, une subvention d’environ 5 000 euros.

Pour améliorer la qualité de l’air et tendre vers le zéro carbone, la ville a décidé de miser sur les biocarburants. En 2013 à Växjö, tous les bus et une kyrielle de voitures individuelles rouleront au biogaz. Celui-ci sera fabriqué par méthanisation à partir de déchets organiques et des boues de l’usine de traitement des eaux de Sundet, l’autre institution de la ville. Pour ce faire, la commune a investi 11 millions d’euros afin de doubler ses capacités de méthanisation. Blottie au milieu d’une forêt, au bord d’un lac, non loin d’une réserve naturelle, Sundet attend de pied ferme son nouveau digesteur cylindrique. « Le biogaz sera acheminé en centre ville par un « pipe line » avant d’être délivré aux stations service. Après digestion, on récupèrera les boues qui iront fertiliser les champs», explique Annelie Chan Andersson, l’ingénieure de production.

Les chercheurs suédois se penchent désormais, pour tenter d’augmenter la part des énergies renouvelables dans les transports (5% aujourd’hui), sur les biocarburants de deuxième génération : la production d’éthanol à partir de cellulose. Volvo en a mis au point une demi-douzaine dont le diésel synthétique –un mélange d’hydrocarbures synthétiques produits par gazéification de la biomasse- et le diméthyléther, sans doute les plus prometteurs. « Pas étonnant que notre constructeur national ait été racheté par une entreprise chinoise », grimace Thomas Hasselby, PDG de Sustainable Smäland, au volant de sa grosse berline.

 

Eco-performance de Växjö à Stockholm

Eco-performance
oblige, la croissance économique a été plus forte à Växjö que dans la moyenne des autres villes du pays. Plus de 500 emplois ont été créés et de nombreuses PME ont vu le jour dans le secteur des énergies renouvelables. Elles sont stimulées par les travaux des chercheurs de l’université Linnaeus, très en pointe dans le domaine des bioénergies. En VRP du développement durable, Växjö et son maire, s’emploient désormais, à vendre leur savoir faire dans le monde entier.

Les « greens tech » ? C’est le péché mignon des Suédois. Dans le centre ville de Stockholm, se dresse un bel et imposant bâtiment de verre et d’acier qui fait la fierté de la capitale : Kungsbrohuset. Cet immeuble de bureau attenant à la gare centrale, est un emblème du développement durable à la mode suédoise. Sa spécificité ? Il est en partie chauffé par l’excès de chaleur dégagée par les 200 000 personnes qui transitent quotidiennement par la gare. « Kungsbrohuset est un véritable thermos. Nous avons réduit des deux tiers notre consommation d’énergie grâce à des vitrages ultraperformants. Le reste de nos besoins est puisé dans le sol grâce à des pompes à chaleur », explique Klas Johansson. L’été, l’immeuble est climatisé en utilisant les eaux du lac Klara qui se trouve à proximité. A la belle saison, il est possible de s’y baigner et d’y pêcher, en plein centre de Stockholm.

« Il est possible de conjuguer réduction des émissions de gaz à effet de serre et croissance économique. Nous l’avons fait en Suède : notre croissance économique a bondi de 48% depuis 1990 alors que nos émissions de C02 baissaient de 9%, » martèle Tomas Kaberger. L’ancien directeur général de l’Agence suédoise de l’énergie, blond et robuste comme il se doit, prêche aujourd’hui la bonne parole au Pays du soleil levant où il a été nommé président de la Fondation japonaise pour les énergies renouvelables. La Suède a fait de la transition vers une économie sobre en carbone une opportunité. L’occasion de développer de nouvelles technologies et de contribuer ainsi à booster sa compétitivité et sa croissance économique. Un exemple ? Les industries forestières suédoises. Elles ont su conjuguer valorisation de la biomasse forestière, efficacité énergétique et compétitivité. « L’industrie forestière a été totalement épargnée par la flambée du prix du pétrole à plus de 140 dollars le baril durant l’été 2008 car elle repose désormais entièrement, pour assurer ses besoins énergétiques, sur les biocombustibles», se félicite Tomas Kaberger. Quand leurs concurrents européens et nord américains, dépendants des hydrocarbures pour faire tourner leurs usines, voyaient fondre leur compétitivité, les industries forestières suédoises gagnaient des parts de marché.

La poursuite de la croissance est elle la solution ? Offrira –telle la prospérité sur une planète de 9 milliard d’être humains ? En Suède, les pouvoirs publics y croient, l’homme de la rue est plus sceptique. « Et si nous misions sur une prospérité sans croissance : une troisième voie entre croissance verte et décroissance ? », lance tout sourire Sarah Nilsson.

 

Eric Tariant

 

 

Les dessous du modèle suédois (encadré)

La Suède s’est fixé pour objectif de sortir des énergies fossiles d’ici 2050. Y parviendra-t-elle ? « C’est jouable. Mais nous ne faisons pas tout ce que nous devrions : nous continuons d’élargir les autoroutes et nous ne développons pas assez les transports en train, » dénonce un jeune conseiller technique au ministère de l’environnement.

La Mecque du développement durable, du recyclage, et de la gestion des déchets est elle exemplaire en matière d’agriculture durable ? «Nous ne sommes pas des anges dans ce domaine. La mer baltique va très mal. Les fonds marins sont en train de mourir du fait des pullulations d’algues qui fragilisent les écosystèmes, » poursuit le conseiller technique. Une pollution due à une sur-fertilisation issue des eaux des pluies et du ruissellement des eaux intérieures imprégnées de fertilisants.

Quid du modèle forestier ? Plus de la moitié de la Suède est couverte de forêts. Ce patrimoine, de plus en plus mis à contribution pour développer les biocombustibles, est il exploité de manière durable ? Karin Aström, vice-présidente de la puissante Société suédoise pour la conservation de la nature en doute. « Les forêts suédoises souffrent d’une véritable crise de la biodiversité. Nos forêts primaires ont été transformées en champs d’exploitations. Et nous nous dirigeons de plus en plus vers un modèle de monoculture forestière. »

 

Boîte à outils

 

En chiffres :

 

9,3 millions d’habitants. C’est la population de la Suède, soit 0,4% de la population mondiale.

 

450 297 km2. C’est la superficie de ce pays, le troisième en Europe après la France et l’Espagne.

 

Le saviez-vous ?

La Suède est un leader mondial de l’innovation. La Commission l’a classé, en 2010, au premier rang des pays européens en la matière. Tandis que la Harvard business school lui décernait, cette même année, le huitième rang mondial sur 173 pays.

 

 

Sur le net :

www.visitsweden.com : le site de l’Office suédois du tourisme

www.stockholmtown.com : celui de la ville de Stockholm

www.symbiocity.org : le site de la plate-forme d’exportation des technologies suédoises et notamment de ses écoquartiers, véritables modèles de développement holistique urbain.

www.stockholmresilience.org : Le Centre de résilience de Stockholm mène des recherches transdisciplinaires sur la gestion des systèmes socio-écologiques en insistant sur leur résilience : leur capacité à gérer le changement.

 

 

Séjourner en Suède:

Baisses des émissions de C02 de 63 %, diminution de 20% de la consommation d’énergie depuis 1996. La chaîne d’hôtel Scandic, particulièrement en pointe dans le domaine du développement durable, s’est fixée pour objectif de ne plus émettre de carbone d’ici 2025.

www.scandichotel.com