Entretien avec Claire Chanut, Coordinatrice du mouvement des Femmes semencières
Le mouvement des Femmes semencières est né durant l’été 2011 à l’initiative de Pierre Rabhi. C’est lui qui invita Claire Chanut à accompagner le développement d’un réseau visant à relier à travers le monde toutes les initiatives et projets de reproduction et de conservation de semences vivantes. Femmes semencières s’emploie aussi à dénoncer le terrorisme alimentaire des multinationales de la chimie. A révéler les visées totalitaires de ces firmes dont le but ultime est d’en finir avec la gratuité de la vie… à seule fin de gonfler leurs profits.
Comment en êtes vous venue à vous intéresser à la question de la l’appropriation des semences par l’agrobusiness et à la défense de ce symbole de notre sécurité alimentaire ?
Un cours m’a particulièrement captivée quand j’étais lycéenne : la photosynthèse dont le côté magique m’a interpellée. Après mes études d’architecte paysagiste, j’ai monté un bureau d’études qui s’appelait « La vie en vert ».
En 1990, à l’âge de trente ans, j’ai voulu avoir des enfants, mais je n’y parvenais pas. Il m’a fallu batailler, entreprendre un cycle d’inséminations artificielles, pour enfin me retrouver enceinte, six années plus tard. Cette épreuve de l’infertilité a été une sorte de chemin initiatique.
En 1997, à la naissance de Clara, j’ai décidé de me consacrer à ce combat en faveur de la vie.
En 2005, j’ai créé Fotosintesia, une association loi de 1901. Mon projet était de relier, de mettre en réseau les acteurs qui agissaient pour empêcher la main mise sur le vivant, et plus largement les acteurs du Nouveau monde. De façon à les faire agir et interagir ensemble pour l’expression de la vie.
Quels sont, plus précisément, les objectifs de Fotosintesia ?
Je m’intéresse à tout ce qui touche à la photosynthèse : au règne végétal, à la terre, à l’eau, aux semences, à l’énergie, et à l’être humain qui est là pour semer la graine.
En 2007, j’ai découvert Auroville. J’y ai rencontré Bernard et Deepika qui ont régénéré, à Pebble garden, sept acres de terres profondément érodées et ravinées par la déforestation. Deepika a crée une étonnante banque de conservation de graines potagères traditionnelles. C’est eux qui m’ont présenté Aviram qui mène un projet de reforestation à Auroville : Sadhana Forest. Quand Aviram et sa femme venaient en France, je les accueillais et j’organisais pour eux des conférences. Je levais des fonds pour Sadhana Forest et envoyais des jeunes européens se former sur place. Je les ai soutenus pendant plusieurs années.
Comment est né le mouvement des Femmes semencières
Lors de nos discussions, Pierre Rabhi évoquait fréquemment la place et le rôle des femmes semencières en Afrique. Ces femmes qui vont chercher l’eau au puits, trient leurs semences, les conservent et les reproduisent. Un jour, après lui avoir parlé du travail de conservation des semences mené par Deepika, et il m’a demandé si j’accepterais de m’engager dans un mouvement réunissant des femmes semencières. J’ai pris cela comme un cadeau merveilleux et j’ai dit oui. Depuis août 2011, je ne fais plus que cela.
Pourquoi se focaliser sur le travail des femmes semencières ?
Parce que ce sont les femmes qui sont les gardiennes de la vie. Ce sont elles qui se chargent d’assurer la subsistance des enfants. Je suis frappée par leur courage quand il s’agit de défendre la vie. C’est comme gravé au fond de nos cellules.
En quoi consiste votre action depuis 2011 ?
Mon amie l’écrivain et journaliste Sylvie Simon est décédée en novembre dernier. J’admirai son combat contre la désinformation et l’enfumage des multinationales en matière de santé et d’écologie. J’admirai notamment son combat contre la dictature vaccinale. Elle a montré que l’histoire de la vaccination était jalonnée de falsifications, de dissimulations et de mensonges construits par l’industrie pharmaceutique. Sylvie Simon a profondément marqué mon chemin de vie. C’est un peu comme si elle m’avait passé le témoin.
L’effondrement de la biodiversité végétale et animale que nous connaissons aujourd’hui est le reflet de l’effondrement de la biodiversité humaine : pensée unique, disparition des langues et des cultures, des savoirs et savoir-faire.
Cette perte de la biodiversité est catastrophique sur un plan spirituel. Le premier jardin que l’on doit réensemencer, c’est notre jardin intérieur. Comment s’alimente t-on ? Comment nourrit-on son être profond ? On ne vit pas que de pain. L’effondrement de la biodiversité est pour moi le reflet de l’uniformisation de nos sociétés, de leur Mac Donaldisation.
Comment faire pour agir de manière efficace dans ce combat face au rouleau compresseur des multinationales de la semence ?
Il faut avant tout informer. Et ne cesser de dénoncer le hold-up sur les semences opéré par ces multinationales. Une dizaine de géants de la chimie se sont fait une spécialité d’usurper, grâce à des droits de propriété intellectuelle, les savoirs accumulés depuis des siècles par les paysans du monde entier. A l’heure où les jardins potagers disparaissent aussi vite que poussent les grandes surfaces, et où la semence reproductible est interdite par une législation criminelle, il est essentiel de faire passer le message que sans semences reproductibles, il n’y a ni autonomie alimentaire, ni préservation de la biodiversité, ni agroécologie. Savez-vous qu’aujourd’hui plus de 90% des légumes bio commercialisés sont produits à partir de semences hybrides F1, c'est-à-dire stériles ?
Je commence à mener des campagnes d’information dans les écoles pour sensibiliser les enfants à ces thématiques. Il faut informer aussi les adultes. Il faut revenir à la dimension du sacré. Le règne végétal est sacré. Or, tout est profané dans nos sociétés. Profaner la semence, c’est le summum. La semence est à l’origine de tout. Tout le vivant dépend d’elle.
Menez-vous aussi des actions à l’international ?
Au Sénégal, dans le village de M’bour, nous soutenons un beau projet porté par Gora N’diaye, co-fondateur et président de l’association sénégalaise des agriculteurs biologiques « Jardins d’Afrique ». Jean-Paul Jaud l’a interviewé dans « Tous Cobayes ». Dans un passage du film, Gora dit à ses élèves de sa ferme-école de Kaydara : « Si vous acceptez les OGM, vous vous mettez la corde au cou et les fers au pied. ». Avec lui, nous avons créé, au Sénégal, le premier groupe de Femmes semencières à l’international. Didier Meunier, qui assure des formations à la production de semences de plantes potagères et à l'agroécologie, était encore auprès d’eux au Sénégal en février dernier. Il y dispensait le quatrième volet de sa formation. L’Afrique est particulièrement convoitée par les multinationales, semencières notamment. N’oublions pas que ce continent a une superficie équivalente à celles de la Chine, des Etats-Unis, de l’Europe et de l’Inde réunis. C’est sur cet énorme marché que lorgnent les multinationales dans des pays; fragilisés par la colonisation, et corruptibles à souhait.
Propos recueillis par Eric Tariant
Pour aller plus loin :
Consulter les sites suivants :
www.femmes-semencieres.com/
Regarder :
La semence dans tous ses états.
Un documentaire de Christophe Guyon produit par Fotosintesia
http://www.dailymotion.com/video/xjzde0_la-semence-dans-tous-ses-etats_webcam
Les gardiens de semences. Un film de Françoise Delonnay en soutien à Kokopelli. http://www.youtube.com/watch?v=MzdrMFs7Qys