Pour Hervé Kempf, journaliste au Monde, nos démocraties glissent peu à peu· vers «·une forme oubliée de système politique·: l’oligarchie, le pouvoir de quelques uns qui délibèrent entre eux des solutions qu’ils vont imposer à tous.·». Un constat exagéré ?

 

 

Hervé Kempf est l'auteur de deux essais («·Comment les riches détruisent la planète·» publié en 2007; «·Pour sauver la planète, sortez du capitalisme·» de 2009) qui dénonçaient avec force le rôle néfaste joué par une classe dirigeante aveugle qui refuse tout changement et s’arc-boute de manière aveugle à une idéologie néolibérale qui conduit le monde au chaos. Il démontre dans son dernier livre, L'oligarchie, ça suffit, vive la démocratie, que la démocratie est bel et bien attaquée par cette caste égoïste et cupide qui s'emploie à faire adopter les lois les plus appropriées au maintien de ses intérêts. Les indices d'une telle dérive ne manquent pas. Violation manifeste des droits des peuples français et néerlandais en leur imposant par le Traité de Lisbonne un texte, le Traité constitutionnel européen,qu’ils avaient majoritairement rejeté par référendum en 1995. Démantèlement progressif des services publics auxquels la population, en France notamment, se déclare pourtant très attachée. Forte progression des inégalités dans un monde qui ne cesse de s'enrichir. Erosion du sens de l’éthique et de la notion de service de l’Etat qui se traduit par la multiplication des pantouflages de hauts fonctionnaires qui partent faire fortune dans le privé après quelles années passées dans des cabinets ministériels. L’Inspection des finances·? «·C’est la meilleure business-school française. Vous y restez quatre ans et vous gagnez plein de fric·», expliquait en 1984 Dominique Strauss-Kahn au jeune Pierre Moscovici, sorti sixième de l’ENA où il fut son élève. «·Un des pionniers modernes du trafic d’influence est Dominique Strauss-Kahn, écrit Hervé Kempf. Il était, en 1991-1992, ministre français de l’industrie. Revenu à la vie civile, il est transformé en consultant offrant ses services, bien rémunérés, aux grandes entreprises dont il était auparavant le ministre de tutelle·». On observe la même collusion entre argent et politique dans les autres grandes démocraties occidentales. Aux Etats-Unis, lors des élections de novembre 2008, les représentants et les sénateurs qui ont réussi à se faire élire étaient à 93% ceux qui avaient dépensé le plus d’argent pendant leur campagne. Le ·coût moyen d’un siège au Sénat s’élève à 6,5 millions de dollars, contre 1,1 million de dollars à la Chambre des représentants. En Grande-Bretagne, le gouvernement Cameron compte 18 ministres millionnaires sur les 23 du Cabinet. En Allemagne, Gerhard Schröder a été «·embauché comme conseiller, à 250·000 euros par an, par la firme russe Gazprom, alors qu’en tant que chancelier, il avait signé deux mois auparavant, en septembre 2005, un accord gazier avec la Russie·».

Les élites qui nous gouvernent disposent d’outils très efficaces pour imposer aux peuples leur ordre et leur vision du monde. Propagande publicitaire véhiculée par une télévision aliénante et des média serviles ou bâillonnés pour modeler l’opinion et l’engager dans la direction souhaitée. Intense lobbying auprès des parlements des Etats et des Communautés européennes (15·000 lobbyistes à Bruxelles) pour faire adopter des textes conformes à leurs intérêts. Entretenir et véhiculer la peur est une autre technique utilisée par les oligarques pour mieux soumettre les citoyens à leur autorité. Pourquoi le «·plan Vigipirate·» est il toujours en œuvre dix ans après les attentats du 11 septembre si ce n’est ·pour «·habituer les citadins à la banalité d’une présence militaire normalement réservée aux dictatures·»·? Pourquoi une telle multiplication des lois répressives sécuritaires si ce n’est pour «·habituer les citoyens à être surveillés·»·?

Que faire pour lutter contre ce glissement vers l’oligarchie s’interroge Hervé Kempf·? D’abord unir ses forces en s’organisant en réseau et résister comme l’ont fait pendant l’Occupation les auteurs du remarquable Programme national de la résistance qui a dessiné les grandes lignes de notre modèle social français bien mis à mal depuis 25 ans. Mais toute action de résistance, souligne-t-il, doit être «·prolongée par des actes positifs montrant qu’existe une alternative au système contesté·». Très à l’aise dans l’analyse et la dénonciation des dérives oligarchiques de nos sociétés, Hervé Kempf est moins disert et moins convaincant quand il évoque la nécessité de développer la culture et les pratiques démocratiques. Aucune analyse sur la nécessité de réformer nos institutions politiques pour y insuffler davantage de démocratie participative. Pas de développement non plus sur l’urgence qu’il y aurait à instaurer une véritable et stricte limitation du cumul des mandats politiques et une réglementation plus stricte du lobbying.

Il conclut son essai sur la nécessité du changement individuel et de la vertu pour «·faire démocratie et changer le destin écologique·».

«·Pourquoi·un minuscule groupe d’états grecs -a-t-il réussi à vaincre une immense puissance orientale ? Parce que les Grecs se sentaient libres et que pour cette liberté ils étaient prêts à tout donner·», souligne l'auteur citant les stimulants Voyages avec Hérodote du journaliste polonais Ryszard Kapuscinski.