« Pour la première fois, dans l'histoire du monde, les puissances spirituelles ont été toutes ensemble refoulées non point par les puissances matérielles mais par une seule puissance matérielle qui est la puissance de l'argent. Pour la première fois dans l'histoire du monde, l'argent est maître sans limitation ni mesure. (...) Il ne faut donc pas dire seulement que dans le monde moderne l'échelle des valeurs a été bouleversée. Il faut dire qu'elle a été anéantie, puisque l'appareil de mesure et d'échange et d'évaluation a envahi toute la valeur qu'il devait servir à mesurer, échanger, évaluer. (…) L’instrument est devenu la matière et l’objet et le monde. (…) De là est venue cette immense prostitution du monde moderne. » Cette citation au rythme inimitable, lent et terrien, réfractaire à l’impatience du lecteur, est extraite d’une « Note conjointe sur Descartes et la philosophie cartésienne » écrite par Charles Péguy dans les années 1909- 1914. Cent ans après la rédaction de ces propos, l’argent à poursuivi son inexorable progression pénétrant peu à peu tous les domaines de la vie sociale et privée jusqu’à ses recoins les plus intimes. Ne parle-t-on pas aujourd’hui de brevets sur le vivant, de banques d’organes et de banques de sperme?
L’argent a cessé d’être un moyen pour devenir une fin en soi, un instrument de domination et d’accaparement au service des plus riches. Il est devenu un frein à l’échange pour tous ceux qui en sont privés. Il est urgent de revenir, aujourd’hui, à sa fonction essentielle : l’échange. Tel est l’objectif des monnaies complémentaires.