Montée en flèche des inégalités, folies du capitalisme financier, épuisement des ressources naturelles, dérèglement des écosystèmes et crise alimentaire mondiale. Dix-huit ans après la création de l’O.M.C, le traité fondateur de la mondialisation, qui oserait encore parler de mondialisation heureuse ? Celle ci n’a profité qu’à une infime minorité, à ces 1% issus des élites économiques et politiques, dénoncées par les Indignés, dont les revenus ont outrageusement enflés.

« Quel que soit le bout par lequel on prenne le système, il ne tient plus. Fin de partie pour ce monde de libre échange sans frein, tellement déséquilibré qu’il n’est plus utile à personne. Si l’on voulait résumer les quinze années écoulées, il ne serait pas excessif de dire que la mondialisation a fabriqué des chômeurs au Nord et augmenté le nombre des quasi-esclaves au Sud, détruit les ressources naturelles partout, donné le pouvoir aux financiers et retiré aux peuples les moyens qu’ils avaient conquis de s’autodéterminer ». Non l’auteur de ces lignes n’est pas Philippe Poutou, le candidat anticapitaliste du NPA à la Présidentielle.

Il s’agit du député, président du conseil général de Saône-et-Loire, et Secrétaire national du Parti socialiste à la Rénovation. Arnaud Montebourg est, aux côtés de l’économiste Jacques Sapir, du journaliste Bernard Cassen et du démographe Emmanuel Todd, l’un des plus ardents défenseurs de la démondialisation dont il s’est fait le chantre dans un petit ouvrage paru l’an passé.

Sur les pas de l’économiste philippin Walden Bello, Montebourg et ses co-équipiers proposent notamment un retour au protectionnisme –à « un protectionnisme dépoussiéré, altruiste et solidaire » selon les mots du socialiste- une reréglementation, et une relocalisation de l’économie.

« Le rêve d’un village global unifié et homogène est fondamentalement erroné, » martèle, de son côté, depuis de longues années, Helena Norberg-Hodge. Figure de l’altermondialisme, cette ancienne élève de Noam Chomsky et Prix Nobel alternatif 1992, s’est attachée à mettre à jour, dans l’entretien qu’elle nous a accordé, les ressorts cachés de la mondialisation avant de se faire l’apôtre des alternatives locales.

Relocaliser ! C’est aussi l’un des leitmotivs du mouvement des villes et territoires en transition. Lancé en 2008 en Grande-Bretagne, celui-ci fait de la fin du pétrole bon marché une opportunité. L’occasion de réinventer et de reconstruire, au niveau local dans nos communes et territoires, le monde qui nous entoure et de repenser la façon dont nous vivons, nous alimentons, nous construisons nos maisons et nous déplaçons (lire notre reportage sur les initiatives de transition en France page ….).

Ancien paysan bio dans le Berry, Emmanuel Bailly est le créateur du concept d’écorégion visant à relocaliser la production agricole (lire notre article page) à l’échelle des régions françaises appréhendées chacune comme un écosystème à part entière. L’ancien chevrier est parvenu à trouver un terrain d’exercice pour tester ses projets dans le département des Deux-Sèvres. Le projet RésALIS, porté par le Conseil Général, vise à rendre son indépendance alimentaire à un territoire.

 

Eric Tariant

 

Pour aller plus loin :

 

*Votez pour la démondialisation d’Arnaud Montebourg (Flammarion 2011)

 

« La démondialisation » de Jacques Sapir (Seuil 2011).

 

« Mondialisation et délocalisation des entreprises » de El Mouhoub Mouhoud (La Découverte, collection Repères2011).

 

« Eloge du génie créateur la société civile » de Pierre Rabhi (Actes Sud 2011).

 

« Proximités », journal trimestriel de la relocalisation. (Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.)

Site internet : http://proximites.net

 

Le site internet :www.demondialisation.eu

 

 

 

 

Helena Norberg_Hodge_portrait_2_-_high_resolutionEntretien avec Helena Norberg-Hodge

 

« Le rêve d’un village global unifié et homogène est fondamentalement erroné. »

 

Prix Nobel alternatif 1992, linguiste et ancienne élève de Noam Chomsky, Helena Norberg-Hodge est une figure de l’altermondialisme. Elle a fondé en 1975 la Société internationale pour l’écologie et la culture (ISEC), une ONG qui s’est fixée pour objectif de mettre à jour les ressorts cachés de la mondialisation, cette économie de casino qui arrache les peuples à leur terre et isole les hommes les uns des autres. L’ISEC soutient les communautés et économies locales fragilisées par l’irruption du « développement » à l’occidentale et les aide à reconstruire leur diversité biologique et culturelle. C’est ce à quoi elle s’est employée au Ladakh notamment depuis 1975, pour tenter de préserver une culture et un modèle de développement qui fut, pendant des millénaires, source d’équilibre écologique et d’harmonie sociale. Cofondatrice du Forum international sur la mondialisation qui réunit Martin Khor, Vandana Shiva et Jerry Mander, elle s’est rendue célèbre par ses analyses sur l’impact de la globalisation sur les sociétés et les économies et locales. Entretien avec une pionnière et une fervente militante de la relocalisation.

 

Quelles sont, selon vous, les racines, les causes fondamentales de la crise systémique que le monde traverse en ce début de XXIe siècle ?

Pour moi, il est clair que les causes de ces crises résident dans la nature de notre système économique. C’est un système fondé sur la science et la technologie. Les élites économiques et financières qui sont aux commandes ont encouragé une forme très particulière de développement. Ce système est fondé sur la centralisation du pouvoir politique, une adhésion presque religieuse aux solutions technologiques, des unités économiques –les multinationales- toujours plus grandes et plus puissantes et un savoir de plus en plus spécialisé, parcellisé. C’est ce système qui a généré les désastres environnementaux et sociaux auxquels nous sommes confrontés : crise de la biodiversité, réchauffement climatique, explosion du chômage, affaiblissement des démocraties, montée en flèche des inégalités entre des riches qui le sont de plus en plus et des pauvres qui peinent à survivre. Le rêve d’un village global unifié et homogène est fondamentalement erroné. Dans la biosphère, la diversité est signe de force.

 

C’est le procès de la mondialisation que vous êtes en train de faire…

Il est essentiel de comprendre comment a été construit ce système économique. Il a été bâti à une époque d’expansion de l’Europe à travers le monde. En créant un seul marché global gigantesque au lieu de milliers ou de millions de marchés locaux, en réduisant toutes les cultures du monde à une seule, nous avons créé les crises multiformes qui nous assaillent aujourd’hui. Qu’est ce que la mondialisation ? C’est un processus marqué par l’extension et le développement d’un modèle centralisé et très puissant d’institutions commerciales et bancaires internationales à travers le monde.

Ce processus s’est mis en place de façon plus structurée pendant la seconde guerre mondiale avec les institutions de Bretton Woods : la Banque mondiale et le FMI. Auquel est venu s’ajouter le GATT en 1947.

La globalisation s’est accompagnée d’un processus systématique de dérégulation qui a accordé de plus en plus de liberté d’action et de moins en moins de contraintes sociales et environnementales au profit des acteurs globaux que sont les banques et les multinationales. Les initiateurs de la globalisation ont eu l’habileté de faire croire qu’elle allait rapprocher les gens et élever le niveau de vie des populations.

 

Le processus de globalisation n’est pas irréversible. Il est possible de le combattre.

Les partisans de la mondialisation ont investi beaucoup d’argent et beaucoup d’efforts pour faire croire qu’elle était irréversible, qu’elle faisait partie d’un processus d’évolution incontournable. Le fameux TINA : « there is not alternative », le mantra moderne, profondément ancré dans notre mode de pensée. Nous pouvons bien sûr résister à la globalisation comme en témoigne l’internationalisation du mouvement des indignés (occupy mouvement aux Etats-Unis) qui représente un formidable signe d’espoir.

 

Quelles sont, selon vous, les principales conséquences de la globalisation d’un point de vu économique ?

La globalisation s’est traduite en premier lieu par un appauvrissement des états qui ont été dépouillés de leur influence et de leur pouvoir par des multinationales et des banques de plus en plus puissantes qui opèrent sans aucun contrôle démocratique. Cet abandon du pouvoir entre les mains des multinationales –une véritable folie- a été un choix politique. Un choix auquel les populations ne se sont pas réellement opposées. Aujourd’hui, les gouvernements sont pressurisés par la globalisation marchande. Pressurisés par les spéculateurs et autres dirigeants de « hedge funds » qui jouent sur les monnaies et sur les prix de biens aussi essentiels que l’eau et les matières premières. Les politiques peuvent tout à fait faire marche arrière, reprendre le pouvoir et re-réguler. Tout pourrait alors évoluer très rapidement. Le changement est uniquement une question de perception, et de prise de conscience. Il est encore possible, mais, nous devons agir rapidement car l’échelle des destructions ne cesse de s’amplifier. La pauvreté et le désenchantement augmentent.

 

Qu’en est-il du coût social de la globalisation ?

La montée en puissance des grandes multinationales s’est traduite par une compétition renforcée qui a brisé le tissu et la cohésion sociale. Cela a aboutit à une démolition de communautés traditionnellement très soudées et à une compétition renforcée. Je ne connais pas un seul pays au monde où le fossé entre riches et pauvres ne se soit pas accru rapidement et de façon spectaculaire ces vingt à trente dernières années. Ce processus a touché aussi bien des démocraties parlementaires comme la Suède que des pays peu développés comme le Bhoutan.

Les communautés sont une des clés essentielles pour créer une économie du bonheur. Il faut rétablir de toute urgence les liens que nous entretenions, il n’y a pas si longtemps, les uns avec les autres et retrouver un rapport spirituel avec la nature.

 

Vous pointez du doigt dans vos écrits la responsabilité de la globalisation dans la montée des conflits ethniques et du fondamentalisme religieux à travers le monde ? Qu’en est-il vraiment ?

Au moment où le pouvoir colonial s’effondrait, la montée en puissance des multinationales a contribué à une recentralisation du pouvoir et des instruments de production. Il s’en est suivi des compétitions renforcées entre des groupes humains qui avaient jusque là vécu en parfaite harmonie. Les multinationales ont recréé une nouvelle forme d’esclavage et d’une certaine façon recolonisé les pays dits « sous-développés». Ce pouvoir néocolonial a généré des horreurs partout dans le monde, en Inde comme au Randwa. La montée du fondamentalisme est liée en grande partie à cette centralisation économique. Celle-ci a provoqué une pénurie artificielle et conduit à une concurrence exacerbée.

 

Quelles solutions préconisez-vous pour lutter contre la globalisation ?

Il s’agit d’abord de re-réguler le commerce et la finance de telle façon que les grandes firmes deviennent la propriété des gouvernements et obéissent aux règles des pays dont elles dépendent. Il faut que ces sociétés cessent d’opérer un chantage permanent en mettant en concurrence les pays les uns avec les autres. Il faut aussi et surtout relocaliser : abandonner l’économie mondialisée et promouvoir des alternatives locales. Le processus doit partir de la base. Il consiste à reconstruire les besoins les plus fondamentaux, au premier rang desquels figure la nourriture. Relocaliser permet de cultiver et de s’approvisionner en nourriture sur place. Pour ce faire, il faut réduire les distances entre les paysans et les consommateurs de façon à reconstruire une multitude de marchés locaux. Relocaliser la production agricole est une étape essentielle pour reconstruire ensuite les communautés. La relocalisation permet le développement de petites entreprises socialement et éthiquement responsables qui contribuent à éduquer les consommateurs.

Il faut sortir d’une définition strictement monétaire du bien-être humain. Dans des pays comme le Bhoutan ou le Ladakh, le niveau de vie est élevé comparé à celui de la majorité des états du Tiers monde. Les gens assurent encore la satisfaction de leurs besoins élémentaires, leur art et leur musique ont survécu, ils consacrent beaucoup plus de temps que les Occidentaux à leur famille, leurs amis ou aux loisirs. Pourtant, la Banque mondiale considère le Bhoutan comme l’un des pays les plus pauvres au monde. Son PNB étant très faible, il se retrouve en bas de l’échelle économique. Au Ladakh, j’ai pu observer comment un cadre de vie à échelle humaine favorise des liens intimes avec la terre et un système de démocratie participative très active, tout en permettant l’existence de communautés solides et fortes, des liens familiaux sains et un rapport équilibré entre hommes et femmes. Ces structures jouent un rôle essentiel car elles assurent la sécurité nécessaire au bien-être de l’individu.

 

Pourriez-vous nous donner des exemples d’économies locales qui aient été reconstruites avec succès dans des pays industrialisés ?

Détroit, une des villes américaines les plus touchées par la crise du système capitaliste, offre un exemple intéressant de relocalisation de l’agriculture. Suite aux difficultés rencontrées par l’industrie automobile, des zones entières de la ville ont été sinistrées. Des ONG locales ont pris les choses en main et mis sur pieds des jardins partagés et des fermes urbaines. On dénombre aujourd’hui 2 000 jardins partagés à Détroit. Nous avons pu observer des initiatives similaires au Japon, en Corée et à Jakarta. Mon crédo ? « Small is beautiful ». On constate de plus en plus que les petites structures, les petites fermes notamment sont plus efficaces que les grandes exploitations: elles génèrent plus d’emplois et plus de biodiversité. On voit aujourd’hui de plus en plus de jeunes se lancer dans l’agriculture biologique, protectrice de la biodiversité. C’est pour moi, un formidable signe d’espoir.

 

Qu’ils soient progressistes ou conservateurs, les hommes politiques sont presque tous favorables à la globalisation. Comment, dans un tel contexte, faire pression pour obtenir des changements politiques ?

La première chose à faire, la plus importante, consiste à susciter une prise de conscience des citoyens. Les multinationales sont parvenues à diffuser leur vision marchande de la société dans tous les media, cénacles et académies générant ainsi une monoculture de la pensée. Il faut en effet s’opposer et faire pression sur le pouvoir. Pour obtenir des changements, il est essentiel de soutenir et de rejoindre les personnes et réseaux qui sont déjà engagés dans un processus de changement et qui veulent faire du monde un lieu plus vivable. Beaucoup d’ONG agissant dans le domaine de l’environnement et d’acteurs sociaux ont commis l’erreur de croire qu’ils obtiendraient des changements en composant avec les gouvernements et les milieux d’affaires. La priorité devrait être la construction d’un mouvement social capable de faire pression sur le pouvoir pour obtenir un vrai changement politique.

 

Quelles sont vos principales propositions de réformes pour tendre vers une économie locale ?

La priorité est la régulation. Mais parallèlement aux opérations de dérégulation de ces vingt dernières années, il s’est opéré de façon insidieuse une sur-régulation systématique qui tend à imposer un modèle de société énergivore et technologique. Une multitude de taxes et subventions mises en place, au fil des décennies, ont conduit, dans presque tous les secteurs, au remplacement des hommes par de l’énergie et des machines.

Il faut sortir de ce culte quasi religieux envers la technique. Celle-ci artificialise l’environnement humain et uniformise les civilisations. Tout ce corpus de réglementations revient à subventionner indirectement, tant au niveau agricole qu’industriel, la pollution de l’environnement et le chômage. Si nous supprimions toutes ces subventions et taxes, ce carcan technicien, nous pourrions transformer complètement nos économies et créer de nombreux emplois dans les PME au niveau local. Développer l’économie locale, c’est aussi réduire la pollution et les émissions de gaz à effet de serre à une époque où le réchauffement climatique est une des plus graves menaces qui pèse sur notre monde.

 

Comment faire renaître les cultures et savoirs traditionnels locaux qui ont été relégués aux oubliettes ces quarante dernières années?

L’émergence d’une science agronomique, déconnectée des savoirs locaux, a en effet largement contribué à les dévaloriser. La philosophie implicite était que l’homme pouvait et devait soumettre la nature dont il ne se sentait pas partie-prenante. Aujourd’hui, tout tourne autour de la commercialisation du vivant. Dans les secteurs de l’agriculture, de la pêche et des forêts, le besoin de connaissances et de savoir-faire locaux est évident. Il nous faut regarder de près ce qui se passe dans le secret des laboratoires des universités et des entreprises, car les subventions déversées par les multinationales ne nous conduisent pas dans la bonne direction. J’ai bon espoir néanmoins car le changement naît et émerge en ce moment du terrain. On voit se développer une agriculture biologique et plus soutenable, une exploitation plus raisonnée des forêts et de la pêche, des productions plus localisées et diversifiées qui nous permettent de réduire la pollution et notre empreinte écologique.

 

Quelles sont aujourd’hui les principaux domaines d’action de la Société internationale pour l’économie et la culture (ISEC), votre ONG ?

Notre principal objectif est de contribuer à faire émerger une prise de conscience. Nous expliquons depuis plus de vingt ans que les modèles actuels ne sont pas viables et tentons de corriger les images trompeuses d’un système industriel qui conduit le monde au désastre. Le but est de promouvoir l’autosuffisance afin de protéger la diversité de la vie et de créer les conditions d’un développement local réellement durable. Mais, en cette période de crise, notre action est plus difficile, les subventions se font plus rares. Nous étions 18 à travailler pour l’ISEC il y a dix ans, contre 8 aujourd’hui réparties entre la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et l’Australie.

 

La crise systémique que nous traversons n’est elle pas avant tout une crise spirituelle ?

C’est une crise spirituelle. Mais, l’origine profonde de la crise tient plus à notre absence d’opposition, à notre servitude volontaire face aux multinationales, à notre consentement à cette dictature du marché sans faire l’effort de comprendre ce qui se passe. Il faut tenter de décrypter les mécanismes sous-jacents du système économique et notamment le rôle de la monnaie qui est essentiel.

 

Pensez vous que les grandes traditions religieuses puissent fournir des réponses, proposer des pistes pour sortir des crises que nous traversons ?

Les sagesses anciennes ne peuvent pas nous aider à comprendre les impasses dans lesquelles nous ont engagées les systèmes économiques modernes et à les déconstruire. En revanche, les grandes traditions et les sociétés traditionnelles peuvent nous enseigner un certain art de vivre, le « bien vivre » latino américain. Elles peuvent nous aider à rompre avec notre modèle de développement, à revoir notre façon de penser le développement et le progrès. Le bien vivre concerne tous les aspects de la vie : réapprendre à bien s’alimenter, à mieux communiquer, à partager, travailler, se soigner, mais aussi danser, dormir et respirer. Il s’agit de remettre au centre les conditions de reproduction de la vie, et non plus celles du capital. Mes expériences de vie dans des sociétés traditionnelles, au Ladakh particulièrement, m’ont permis de comprendre qu’il est possible de vivre une vie sociale, culturelle, spirituelle et même matérielle plus riche. J’ai vu un peuple pour qui la paix de l’esprit, la joie de vivre, sont réels. J’ai vu comment une vie communautaire et une relation étroite avec la terre peuvent favoriser un enrichissement de l’existence sans commune mesure avec ce qu’apportent la richesse matérielle ou le progrès technologique. J’ai appris qu’une autre voie était possible.

 

Propos recueillis par Eric Tariant

 

Pour aller plus loin :

 

Des sites à visiter :

www.localfutures.org  : le site de la Société internationale pour l’écologie et la culture fondée par Helena Norberg-Hodge en 1975.

 

www.ifg.org : le site du Forum international sur la mondialisation.

 

Lire et regarder :

« Quand le développement crée la pauvreté ». L’exemple du Ladakh. Par Helena Norberg-Hodge (Fayard 2002). Un livre passionnant qui est aussi un best-seller, traduit en 50 langues, et vendu à plus d’1million d’exemplaires à travers le monde.

 

« The Economics of Happiness ». Un dvd de 65mn réalisé par Helena Norberg-Hodge sur les vertus de la relocalisation avec des exemples concrets à travers le monde. Il est disponible depuis peu en français sur le site de la Société internationale pour l’écologie et la culture.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La France en transition

Préparer le monde de l’après pétrole

 

L’ère du pétrole bon marché, clé de voûte de nos économies développées, sera bientôt derrière nous, annonçait, il y a près de dix ans, le politologue Richard Heinberg dans un livre devenu un best seller. Pour amorcer le tournant, sans attendre d’hypothétiques décisions des états et autres accords internationaux, de simples citoyens se sont regroupés au niveau local, dans leurs communes ou territoires, pour prendre les choses en main. Le mouvement des villes et territoires en transition, lancé en 2006 en Grande Bretagne, prépare l’ère de l’après-pétrole. Il s’agit d’amorcer la réorganisation de nos modes de vie collectifs saturés de carburants fossiles avant qu’un choc pétrolier n’intervienne. Plusieurs milliers d’initiatives bourgeonnent à travers le monde de façon à reconstruire la résilience des territoires et les rendre, peu à peu, moins dépendants des énergies fossiles. « C’est une occasion en or de réinventer, repenser et reconstruire le monde qui nous entoure, » insiste Rob Hopkins, le fondateur du mouvement. Du Trièves à la Bourgogne, gros plan sur les initiatives françaises qui se multiplient depuis un an.

 

« Quoi que vous pensiez ou croyiez pouvoir faire, faites-le. L’action porte en elle la magie, la grâce et le pouvoir." Goethe

 

C’est une de ces villes à la campagne dont rêvait Alphonse Allais. Une grosse bourgade tranquille étirée au fond d’une vallée dominée par deux chaînes de montagnes majestueuses. Bienvenu à Mens, chef lieu de canton posé au Sud de Grenoble, entre Vercors et Hautes-Alpes. Capitale du Trièves, Mens fut, l’an passé l’espace de quelques jours, la capitale française des Villes et territoires en transition. Plusieurs centaine de personnes sont venues de toute la France, début juin 2011 pendant le week-end de l’Ascension, faire plus ample connaissance avec ce tout jeune mouvement. Auto-construction d’une maison en paille, fabrication de cuiseurs solaires, découverte de Trièves compostage et du jardin partagé des Pouces vertes, conférence sur la transition énergétique, échanges d’expériences entre groupes locaux étaient quelques uns des rendez-vous au programme de ces premières Rencontres nationales de la transition.

Pourquoi le Trièves ? Parce que c’est ici, dans ce territoire de moyennes montagnes, qu’a été lancée en 2008 la première initiative de transition en pays francophone par Pierre Bertrand, traducteur scientifique et ancien président du centre écologique Terre vivante situé à Mens et Jérémy Light. Co-fondateur du Centre for Alternative technology au Pays de Galle, consultant en systèmes d’épuration écologique, Jérémy est le président de l’association Trièves compostage qui encourage le développement des composts de quartiers.

Lancé en 2006 à Totnes, une petite ville du Devon, au Sud de l’Angleterre, le mouvement des villes en transition a essaimé en quelques années en Europe, en Amérique du Nord et en Australie principalement. Il existe aujourd’hui dans le monde des milliers d’initiatives dispersées dans 34 pays. En France, le mouvement a commencé à frémir en 2010 avant d’exploser en 2011. Le nombre d’initiatives a presque doublé en un an. On compte aujourd’hui 58 groupes actifs et 20 à l’état de projets.

Les villes et territoires en transition ? Ce sont des réponses locales et citoyennes aux défis du pic pétrolier et du changement climatique. Elles visent à renforcer la résilience des communautés, en leur donnant les moyens de ne pas s’effondrer au premier signe d’une pénurie de pétrole ou de nourriture, les outils pour réagir aux crises en s’adaptant. Ce mouvement fait de la fin du pétrole bon marché une opportunité. L’occasion de réinventer et de reconstruire le monde qui nous entoure. Il ne s’agit pas de revenir en arrière par nostalgie d’un âge d’or mais de repenser la façon dont nous vivons, nous alimentons, nous construisons nos maisons et nous déplaçons.

 

Pouces vertes

Pour rejoindre le jardin partagé des Pouces vertes, il faut passer devant la mairie de Mens, suivre une petite route en pente douce puis un chemin qui serpente au milieu des potagers étagés aux pieds des maisons. Une cabane à outils auto-construite et un petit panneau « Jardin des planches » marque l’entrée de ce potager de 500m2. Ouvert en 2008, à l’initiative d’une animatrice chargée d’insertion sociale, puis porté par l’association les Pouces vertes, il accueille aujourd’hui, trois jours par semaine, une vingtaine de jardiniers : des habitants du Trièves, des travailleurs saisonniers et des demandeurs d’emplois et autres personnes bénéficiant de minima sociaux. Ici, on peut aussi échanger des savoir-faire, s’initier à la taille d’arbres fruitiers, troquer des graines et des plants et apprendre à réparer des outils.

Multiples réalisations écologiques (jardins partagés, cantines biologiques, chaufferies bois), agriculture bio florissante (20% des exploitations), petits commerces de proximité et solidarités villageoises préservées, le Trièves était un terreau particulièrement propice au lancement d’une initiative de transition.

« Nos économies et nos communautés pourront elles résister à un choc énergétique majeur ? La meilleure parade consiste à se préparer dès maintenant à la transition en accélérant la décroissance énergétique au niveau local et en relocalisant partiellement les activités. Tout commence par un travail d’information et de sensibilisation à cet enjeu du déclin des hydrocarbures bon marché», explique Pierre Bertrand. Oeil pétillant et sourire complice, l’ancien Président de Terre Vivante est comme un poisson dans l’eau au Café des arts, véritable institution de Mens où nous sommes attablés en cette fin de matinée ensoleillée. Accolade chaleureuse pour l’un, bise ou poignée de main pour l’autre, il passe de table en table, saluant le président de la Communauté de communes, un ami agriculteur et le maire d’une commune voisine.

Foin du catastrophisme, de la colère et de la culpabilité, place à la visualisation positive. Pour mettre toutes les chances de son côté, Rob Hopkins, le pape britannique du mouvement, insiste sur la nécessité de présenter une vision positive de l’ère de l’après pétrole. « Il s’agit de présenter une vision irrésistible et attachante du monde de l’après-pétrole, qui donne envie aux autres d’y aller, souligne Rob Hopkins. Un avenir plus pauvre en pétrole pourrait, si l’on y consacre à l’avance assez de réflexion et d’imagination, être préférable à notre présent. ».

C’est ce à quoi se sont employés, le 3 décembre dernier, une vingtaine de membres de Trièves en transition réunis au Gîte Chante-Matin à Saint-Sébastien. L’objectif ? Imaginer ce que pourrait être le territoire en 2050 en présentant une vision d’un futur frugal en énergie mais moins stressant, plus sain et plus heureux. Des campagnes plus riantes vivifiées par une multitude de fermes de petite taille et employant plus de main d’œuvre et des chevaux de trait. Des villes redessinées où les parkings cèdent du terrain aux potagers, jardins partagés et autres centres de formation en horticulture. Des arbres fruitiers, préférés aux arbres d’ornement, qui se multiplient dans les cours d’écoles, parcs et jardins publics. Une médecine qui fasse de nouveau appel à des remèdes d’origine locale, à des plantes médicinales produites dans les fermes environnantes. Une économie où les SEL (systèmes d’échanges locaux) et autres banques d’heures ont la part belle.

Après cet exercice de visualisation positive, place à la constitution de groupes de travail (alimentation, déplacements, éducation et lien social etc) dans lesquels se répartissent les transitionneurs selon leurs goût et compétences. La convivialité étant un ingrédient clé de toute initiative de transition, la réunion a été suivie d’un bon gueuleton. La soirée s’est achevée au son de l’accordéon et de la viole de la Bise du Connest avec des danses du monde entier. Concevoir ensemble de nouvelles histoires ouvrant des brèches encore inconnues et de nouvelles perspectives enthousiasmantes est une phase importante du processus de sensibilisation. C’est une étape essentielle du cursus de la transition, un processus souple et adaptable, en douze temps, qui s’achève par la création d’un plan d’action de descente énergétique.

 

Relocalisation et sobriété

Pour faire face aux enjeux du pic pétrolier et prévenir, en même temps, l’aggravation du changement climatique, le mouvement de la transition s’attache à ré-agencer les territoires pour tendre vers une forme d’autosuffisance alimentaire et énergétique. Les solutions proposées tournent toutes autour des idées de sobriété, de réévaluation des besoins, d’entraide et de relocalisation. Priorité est donnée à la relocalisation de la production alimentaire grâce à des circuits courts et à la création de ceintures maraîchères autour des villes, en ayant souvent recours aux outils de la permaculture. Conçue dans les années 1970, en pleine crise pétrolière, celle ci vise à créer des écosystèmes pérennes économiquement viables et nourriciers. Elle délaisse la monoculture au profit de systèmes associant des arbres et des plantes productifs en « travaillant avec la nature au lieu de lutter contre elle ».

Dans le Trièves, un réseau d’échanges de savoir-faire animé par des associations a été mis en place: travail sur le labour et le débardage à l’aide de chevaux, culture de plantes médicinales, élaboration de produits d’entretien pour la maison, ateliers de vannerie, techniques d’éco-construction. Un atelier de fabrication de cuiseurs solaires a été lancé en 2010. En deux jours, les stagiaires apprennent à construire leur propre cuiseur : une caisse en bois sur laquelle est fixée un bac métallique réfléchissant. La caisse est recouverte d’un couvercle transparent fait d’un double-vitrage récupéré à la déchetterie voisine. La chaleur solaire, réfléchie et concentrée par les surfaces réfléchissantes, est piégée dans le cuiseur. Après 4 ou 5 heures de cuisson, le plat est prêt. Cet outil est très apprécié dans un territoire qui bénéficie de 300 jours d’ensoleillement par an, même s’il suppose quelques petits ajustements dans l’organisation pratique de sa journée. « Il est préférable d’impliquer le gens dans des actions concrètes de terrain plutôt que de s’appesantir en discussions théoriques. Notre objectif est de rapprocher tous les acteurs du monde associatif en essayant de les faire converger », insiste Pierre Bertrand.

Si l’alimentation et l’agriculture sont les domaines d’action privilégiés des groupes de transition, des initiatives se multiplient également dans les secteurs de l’économie, des transports et de l’énergie.

 

Centrales photovoltaïques et filière bois

Dans le Trièves, plusieurs projets sont à l’étude pour favoriser la production locale d’énergies renouvelables et renforcer la résilience économique et énergétique de la région. L’agenda 21 local réfléchit à la mise en place, avec le soutien des collectivités publiques, d’un pôle bois afin de relancer la filière bois et notamment la filière bois énergie malmenée par la concurrence des plaquettes bon marché importées de Scandinavie. Le syndicat d’aménagement du Trièves planche, de son côté, sur la création de centrales photovoltaïques villageoises. Ces centrales pourraient être coordonnées par une société d’exploitation mixte locale, soutenues par de l’épargne locale type Cigales (Clubs d’investissement pour une gestion alternative et locale de l’épargne solidaire) et gérées au niveau des communes. « L’objectif serait de contrecarrer le projet de Véolia visant à implanter une centrale photovoltaïque de dix hectares sur des terres agricoles, sans assurance que le courant produit couvre en priorité nos besoins locaux, en cas de tension sur le réseau national, » souligne Pierre Bertrand.

La bête noire des militants écologistes du Trièves ? Les émissions de dioxyde de carbone issues des transports routiers. Celles ci ne cessent d’augmenter sur un territoire qui est très tributaire du pétrole du fait de la dispersion des 8 000 habitants du territoire entre de multiples villages et hameaux. Si Mens, le chef lieu de canton a la chance de disposer, de toutes les facilités d’une petite ville (collège, centre social, commerces), ce n’est pas le cas des petites communes alentour. Le site de covoiturage mis en place par la communauté de communes et l’association Drac nature peine pourtant à se développer du fait de la dispersion de l’habitat, à distance des grands axes.

 

De Saint-Quentin en Yvelines à Semur-en-Auxois

« Notre première réunion a eu lieu le 3 avril 2010. Nous étions 12 personnes entre 19 et 70 ans, tous investis dans la communauté locale. Lors de la 3ème réunion, nous avons créé une bourse de projets concrets, positifs et prêts à mettre en œuvre », explique Leigh Barret. Cette franco-américaine passionnée de permaculture est à l’origine du groupe Saint-Quentin-en-Yvelines en transition, une des initiatives les plus avancées en Ile-de-France. Calfeutrée dans sa doudoune rouge, l’accent chantant et l’air fier, l’enseignante et militante nous conduit à la découverte de son potager : de massifs, en bacs et de bacs en parterres, les légumes ont progressivement investi, le moindre petit carré d’humus disponible aux pieds des arbres fruitiers du jardin.

Fourmillant de projets, l’animatrice de Saint-Quentin-en-Transition a lancé en début d’année, avec Françoise Tsyszka, la présidente, l’opération « Un verger dans ma ville ». L’objectif ? Récolter les fruits laissés à l’abandon dans les espaces publics et chez les particuliers après avoir obtenu l’accord écrit de toutes les parties. Le groupe Habitat et énergie, travaille, de son côté, sur un programme d’isolation des combles de maisons. Les travaux sont réalisés à l’aide de ouate de cellulose, lors de chantiers collectifs participatifs encadrés par un professionnel. Un moyen de démocratiser les démarches d’isolation sans attendre d’hypothétiques aides publiques et de recréer du lien social.

Bâtie sur un rocher de granit rose hérissé de tours et lovée dans le méandre d’une rivière, la cité médiévale de Semur-en-Auxois est entrée en transition au printemps 2010. Le groupe local a été lancé par Susan Cerezo, une britannique, et son compagnon, Frédéric Pham, installés à Epoisses à quelques kilomètres en contrebas de cette petite ville de 4500 habitants. Fatiguée par quarante années de militantisme écologiste, Susan a retrouvé sa fibre militante en découvrant Totnès en transition, la Mecque de tous les transitioneurs. « J’ai été littéralement captivée par l’énergie positive qui émanait des membres de Totnès en transition, par cet état d’esprit si différent du militantisme habituel. Ici, pas d’accusation, ni de jugement», explique Susan. Après la première étape d’information et de sensibilisation des habitants (projections des films In transition et Une ferme pour le futur) à la nécessité d’engager rapidement la décroissance énergétique est venu le temps du passage à l’action au sein de petits groupes de travail. Lancement de jardins familiaux, initiation à la permaculture, développement du covoiturage, création d’un atelier de vannerie : les projets ne manquent pas. Au printemps, le groupe a organisé la première semaine du Local à Semur-en-Auxois. Tous les commerçants, hôteliers, cafés et autres restaurants se sont engagés à ne servir que des produits 100% locaux à leurs clients. « A quoi ressemblerait notre monde si les réponses aux défis du pic pétrolier et du changement climatiques émergeaient de vous et moi, des communautés locales et non des lois du Parlement ? s’interroge Rob Hopkins dans son dernier livre. Si nous attendons des réponses des gouvernements, celles-ci seront trop timides et trop tardives. Si nous travaillons seuls, chacun de notre côté, le résultat sera insuffisant. En revanche, si nous agissons en groupe, à l’échelle de nos communautés, il y a de grande chance que nous parvenions à temps à infléchir le cours des choses. »

 

Eric Tariant

 

La transition Outre Manche (encadré)

Véritable laboratoire de la transition, Totnès est devenu un lieu de pèlerinage pour tous les militants écologistes. C’est à Totnès que vivent et oeuvrent les principaux initiateurs et animateurs de ce mouvement devenu mondial : Rob Hopkins, le jovial quinquagénaire, bloggeur et enseignant en permaculture et Ben Brangwyn, le cofondateur de T.T.T. (Transition Town Totnès) qui tient un atelier de réparation de vélos les jours de marché. Ils sont appuyés par quelques 300 transitionneurs répartis en 12 commissions. Ici, presque tous les commerçants proposent des légumes bio ou locaux, des centaines d’arbres fruitiers ont été plantés, des coopératives d’achats ont été créées et des dizaines de jardiniers formés au maraîchage urbain. A Totnès, on ne compte plus les jardins partagés, ni les maisons coiffées de panneaux photovoltaïques. Une monnaie locale a été créée acceptée par plus de 70 commerçants tandis qu’une coopérative citoyenne de production d’énergie renouvelable voyait le jour.

A Bristol, la municipalité a rédigé un rapport d’une centaine de pages visant à évaluer la vulnérabilité de la ville en cas de hausse rapide du prix du pétrole. Parmi les pistes d’actions retenues figurent la création de lieux d’hébergement pour les personnes frappées par la précarité énergétique, la constitution de stocks de nourriture et la réquisition de terrains pour la production alimentaire en cas de situation d’urgence. A Londres et dans toute la Grande-Bretagne, des centaines de groupes d’activistes nommés CRAGS (Carbon rationing action groups) tentent, de leur côté, d’organiser volontairement le rationnement de leur consommation d’énergie pour montrer qu’il est possible de réduire son empreinte écologique.

Le site de Totnès en transition : www.transitiontowntotnes.

Le blog de Rob Hopkins : http://transitionculture.org

 

 

Pour aller plus loin :

Lire : « Manuel de transition. De la dépendance au pétrole à la résilience locale » de Rob Hopkins. Co-éditions Silence- Ecosociété. 2010.

 

« The transition companion. Making your community more resilient in uncertain times ». Le second livre de Rob Hopkins édité par les éditions Green books est en cours de traduction en français (Co-éditions Silence- Ecosociété).

 

Consulter :

Le site français des villes et territoires en transition : www.transitionfrance.fr

Le site du réseau international de la Transition : www.transitionnetwork.org

 

 

 

 

 

 

Relocaliser la production agricole

Les Deux-Sèvres, terres d’avenir

 

Le modèle agricole des années 1960 basé sur une agriculture et un élevage industrialisé, une hyperspécialisation des régions et un pétrole bon marché est épuisé. Aussi épuisé que les terres agricoles qu’il a contribué à détruire. « Il faut démondialiser, et aller dans le sens de l’autonomie vivrière des nations et de leur souveraineté alimentaire », tonnait, il y a un an, Edgar Morin dans son livre la Voie. Emmanuel Bailly, auteur du concept d’écorégion, s’y emploie à l’échelle locale dans le département des Deux-Sèvres pour reconstruire une agriculture de proximité et revivifier les campagnes.

 

Moutons australiens, haricots du Kenya, bœufs argentins, échalotes de Hollande, pommes golden chinoises. La libéralisation des échanges commerciaux a transformé, en quelques décennies, la composition de nos assiettes et accentué l’empreinte écologique de notre alimentation. Elle a aussi métamorphosé le visage de nos campagnes qui se sont peu à peu vidées de leurs paysans. En Europe, plusieurs dizaines de millions d’entre eux ont jeté l’éponge depuis les années 1970 étranglés par les règles du libre échange. En France, 60% des exploitations agricoles ont disparu en moins de trente ans. On en compte aujourd’hui moins de 500 000 contre 1,5 million en 1970. Et 2 à 3% d’entre elles continuent à disparaître chaque année. « Les régions du monde se sont mises à produire non plus pour répondre aux besoins de leur population mais pour le marché. Actuellement, aucun pays ne peut se targuer de répondre aux besoins alimentaires de son peuple», explique Emmanuel Bailly. Cet ancien micro-technicien dans l’aéronautique a décidé, un beau jour, de changer de vie et de quitter Paris pour une ferme du Berry. Là, pendant sept ans, il a élevé des chèvres, affiné ses fromages bio tout en peaufinant sa construction personnelle. En 2002, il vend son exploitation pour reprendre des études à L’ENSI de Limoges. Il en ressort avec un diplôme d’ingénieur en environnement en poche et un regard acéré sur l’extrême vulnérabilité alimentaire de nos sociétés.

« Après mes quatre années d’études d’ingénieur, j’ai rédigé mon mémoire sur le concept d’écorégion. A partir des chiffres de l’Agreste, la division statistiques et prospective du Ministère de l’agriculture, j’ai comparé production et consommation de nos régions. J’ai été le premier surpris. Je ne pensais pas parvenir à de tels résultats », observe-t-il.

En 2005, il publie ses travaux : « Vers une démarche écorégionale .Ou comment restaurer le système immunitaire des régions», étude dans laquelle il met le doigt sur l’absence de souveraineté alimentaire de nos territoires. « Aujourd’hui, poursuit-il, il est impossible d’alimenter les populations régionales sans avoir recours à une stratégie de flux tendus de produits alimentaires de première nécessité. 90% des régions françaises et européennes vivent sous perfusion par l’intermédiaire des supermarchés et autres structures de ventes. » L’étude sera suivie d’un livre « Terres d’avenir, Pour un mode de vie durable » co-écrit à six mains avec Philippe Desbrosses et Thanh Nghiem et publié en 2007.

Adieu pommes de terre, légumes frais, lait, lapins et volailles dont la culture et l’élevage sont passés de mode. L’Ile-de-France, la Franche-Comté et la Corse sont les régions françaises les plus fragilisées. Elles ne produisent pas plus de 1% des aliments participant à leur alimentation de base. Même une région rurale comme le Limousin, berceau de l’élevage bovin, ne répond plus qu’à 10% des besoins alimentaires de sa population. Sa production de légumes est passée de 6300 hectares en 1970 à 300 hectares en 2000 tandis que les surfaces cultivées en pommes de terres régressaient de 7400 hectares à 300 dans le même laps de temps. Place à l’hyperspécialisation : aux pommes « golden » dont la culture couvre la presque totalité des vergers de la région et aux vaches limousines : 1,1 million de têtes. Le déficit est compensé par des importations massives venant des quatre coins de la planète au prix d’un bilan carbone déplorable. La pomme de Chine et le bœuf argentin ont remplacé, dans les supermarchés du Limousin, les fleurons de l’agriculture locale dont les produits sont réservés à l’export.

Aujourd’hui en France, plus de 40% de nos besoins en fruits et légumes sont pourvus par l’Espagne au prix d’un incessant ballet de camions. Notre logistique alimentaire est devenue proprement ubuesque. En 1999, la France a exporté 3,5 millions de tonnes de lait et en a importé 1,6 million de tonnes. En 1998, la Grande-Bretagne a exporté 60 000 tonnes de poulets vers les Pays-Bas desquels sont sortis 30 000 tonnes de poulets en direction de l’Angleterre.

Que faire, à l’échelle locale, pour tenter de remédier à ces incohérences et rebâtir la souveraineté alimentaire de nos territoires ? « Il faut considérer chaque région comme un écosystème à part entière en veillant à reconstruire son immunité », suggère Emmanuel Bailly. Recruté par Eric Gautier, le Président d’un Conseil Général, il s’emploie depuis un an à tester ses thèses sur le terrain dans le département des Deux-Sèvres.

 

Circuits courts et produits de qualité

La grande salle du Parc des expositions de Niort est noire de monde en ce mercredi 7 décembre. Trois cent professionnels (producteurs, transformateurs, cuisiniers, responsables de filières et élus) intéressés par les circuits courts et l’agriculture de proximité ont répondu présent à l’invitation du Département. « L’important est de s’organiser en réseau. Nous savons tous au plus profond de nous même que nous avons besoin de devenir intelligents collectivement pour ne pas disparaître. Il va nous falloir imaginer l’après-pétrole et travailler sur de nouvelles techniques culturales et de nouveaux modes de transformation moins énergivores», explique Emmanuel Bailly debout sur la scène. A ses côtés sont réunis Eric Gautier, le président du Conseil Général, un représentant du Conseil régional de Poitou-Charentes, six maires de grandes ville du département des Deux-Sèvres ainsi que Frédéric Gana, le vice-président de Slow food France et Alain Aubry du Mouvement des Colibris, deux structures partenaires. Tous sont venus découvrir et soutenir RésALIS, un projet ambitieux d’approvisionnement de proximité en produits locaux de l’ensemble de la restauration collective des Deux-Sèvres. Pas moins de 20 millions de repas y sont servis chaque année. Mais, seuls 7% d’entre eux sont conçus à partir de produits locaux. Les Deux-Sèvres, comme la plupart des autres départements français, ont progressivement perdu tout contrôle sur leur souveraineté locale, source de cohésion sociale et économique. A l’échelle du Poitou-Charentes, la situation est presque aussi déséquilibrée. Si la région produit en excédent du blé dur, des ovins et des pommes, elle doit en revanche se procurer, à l’extérieur de ses frontières, la majeure partie des pommes de terre et des côtelettes de porcs qu’elle consomme et 91% des autres fruits.

Le but du projet RésALIS ? « Rapprocher l’offre de la demande de façon à s’approvisionner au plus près du lieu de consommation », explique le chargé de mission « approvisionnement de proximité et restauration collective ». Un portail internet permettra, prochainement, aux responsables de restaurant collectifs d’envoyer leurs commandes au niveau local dans un périmètre d’approvisionnement immédiat. Si celles ci ne trouvent pas satisfaction, ils solliciteront un autre périmètre, appelé périmètre d’approvisionnement de proximité. Puis, un périmètre d’alimentation éloigné, au niveau régional, national ou international si l’offre locale s’avère être à nouveau indisponible.

Elaboration d’un Schéma départemental de l’alimentation et d’une Charte « Haute qualité alimentaire » : le projet commence, peu à peu, à prendre forme. Emmanuel Bailly travaille désormais, avec ses quelques 100 partenaires, à l’élaboration d’un catalogue des produits RésALIS. Celui ci sera mis à la disposition des acheteurs publics à l’automne prochain. Tous ces produits devront être bons (goûteux, savoureux et frais), propres (ne pas porter atteinte à l’environnement et à la santé) et justes (justice sociale, rétributions et conditions de travail équitables). Un concept emprunté à Slow Food qui servira de ligne directrice au Département des Deux-Sèvres. « Si un agriculteur souhaite rentrer dans le dispositif, il devra se mettre en phase avec ces recommandations, » note Emmanuel Bailly.

Reconstruire l’immunité alimentaire du département suppose de remailler le territoire, de faire renaître les structures agricoles qui ont disparu progressivement année après année. Préemption et achat de terres, aides à l’installation de jeunes agriculteurs, mise en place d’une formation diplômante en maraîchage, création de cursus spécialisés (transformation de légumes) destinés aux cuisiniers seront les principaux outils du Conseil général. Aux termes du projet, plus de 1000 hectares de terres auront été remis en culture agro-écologique et près de 1500 emplois créés à l’échelle du département.

« Le modèle qui sera créé dans les Deux-Sèvres pourra parfaitement être reproduit ailleurs», lance, tout fier, l’ancien chevrier. Après avoir quelques temps crié dans le désert, il est parvenu à trouver un terrain d’exercice pour tester ses projets sur le terrain et tenter de rendre ainsi son indépendance alimentaire à un territoire. Une goutte d’eau qui contribuera à que la terre redevienne un jardin où il fait bon vivre.

 

Eric Tariant

 

Pour aller plus loin :

 

Lire :

« Terres d’avenir, pour un mode de vie rural », de Philippe Desbrosses, Emmanuel Bailly et Thanh Nghiem (éditions Alphée. Jean-Paul Betrand, 2007)

« Le concept de l’écorégion ou comment reconstruire le système immunitaire des régions » par Emmanuel Bailly. Texte téléchargeable sur le site www.notre-planete.info.

 

« Manger local. S’approvisionner et produire ensemble »de Lionel Astruc et Cécile Cros. (éditions Actes Sud, 2001).

 

« La Riposte des paysans » de Silvia Pérez Vitora (Actes Sud 2010)

 

« L’économie humaine, mode d’emploi. Des idées pour travailler solidaire et responsable » de Jérôme Henry (Eyrolles, 2011).

 

RésALIS sur le site du Conseil Général des Deux-Sèvres http://www.deux-sevres.com/deuxsevres/Articlesactualités/Dossiersthématiques/tabid/490/articleType/ArticleView/articleId/3741/RESALIS_un_Reseau_pour_une_Alimentation_Locale_Innovante_et_Solidaire.aspx

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Citation

"L'utopie est un mirage que personne n'a jamais atteint, mais sans lequel aucune caravane ne serait jamais partie."

Proverbe arabe

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