«·L’efficacité énergétique est primordiale pour répondre au défi du changement climatique »

Les mauvaises nouvelles se multiplient sur le front du changement climatique depuis la parution, en 2007, du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Les pires scénarii identifiés par les scientifiques qui composent cette instance, à l’autorité incontestée, semblent être en passe de se réaliser. La menace d’un dérapage hors de contrôle du climat est plus grande que jamais. Pour infléchir ce processus, réduire

les émissions de gaz à effet de serre et parvenir à maintenir l’élévation de la température moyenne en dessous de 2°c, les pays industrialisés doivent réduire leurs émissions de 25 à 40% par rapport à 1990. Et revenir à une concentration dans l’atmosphère inférieure à 350 ppm de dioxyde de carbone (contre 386 ppm de Co2 aujourd’hui). D’où l’importance cruciale du Sommet qui se tiendra à Copenhague du 7 au 18 décembre. Il s’agira, pour les 170 nations signataires de la Convention-cadre des Nations-Unies sur le changement climatique, de définir les suites à donner au Protocole de Kyoto pour les années 2012-2020.

La Suède est un des rares pays industriels à avoir réduit ses émissions de C02 qui ont diminué de près de 9% entre 1990 et 2006. A la tête du Conseil des ministres de l’Union européenne jusqu’au 31 décembre prochain, celle ci sera en première ligne lors des négociations de Copenhague pour tenter d’aboutir aux engagements les plus ambitieux possibles. Directeur de l’agence Suédoise de l’énergie, Tomas Kaberger évoque, dans l’entretien qu’il nous a accordé, les priorités de la présidence suédoise au moment du Sommet de Copenhague. Il fait le point sur la politique énergétique suédoise marquée notamment par une forte progression de la biomasse et de l’énergie éolienne. Une politique énergétique et environnementale exemplaire à de multiples titres dont pourraient s’inspirer avec profit nombre de pays européens.

 

 

Forte de sa crédibilité en matière environnementale, la Suède devrait jouer un rôle déterminant lors du sommet de Copenhague sur le changement climatique. Quels messages pourrait-elle faire passer à cette occasion ?

Il est certain que le gouvernement suédois est très impliqué dans la préparation du sommet de Copenhague. La Suède pourra témoigner, en premier lieu, du fait qu’il est possible de conjuguer croissance économique et réduction des émissions de gaz à effet de serre. Nous y sommes parvenus. Nous pourrons également faire la démonstration qu’il est possible de diminuer ses émissions de C02 tout en réduisant ses capacités de production d’électricité d’origine nucléaire. Nous avons, en effet, fermé deux réacteurs depuis 1990, et n’avons mis aucun autre réacteur en service depuis cette date.

Mais c’est avant tout et surtout l’importance d’améliorer l’efficacité énergétique de nos économies que le gouvernement suédois voudrait mettre en exergue durant ses six mois de présidence de la Communauté européenne. L’efficacité énergétique constituera un outil essentiel pour répondre au défi du changement climatique tout en améliorant la compétitivité économique et industrielle des pays.

La Suède a, à son actif, un certain nombre de réussites en matière d’efficacité énergétique. Nous pouvons nous targuer notamment de notre succès en matière de biocombustibles. Leur développement a été favorisé par la création de taxes sur les énergies fossiles et non par des subventions publiques. Les gisements de biomasse qui ont été découverts par les entrepreneurs étaient très différents de ce que l’on escomptait au départ. Quand l’on a commencé à parler de biocombustibles, en Suède dans les années 1970-1980, il s’agissait surtout de productions agricoles, de biomasse cultivée sur des terres agricoles. Mais, ce sont en fait les résidus de l’industrie forestière et de l’industrie agroalimentaire qui se sont montré les plus efficaces et les plus avantageux d’un point de vu économique. Nous n’avons plus aucun besoin, désormais, d’utiliser des terres agricoles pour produire de la biomasse. Nous avons triplé notre production de biocombustibles en l’espace de 30 ans. Nous sommes de loin ceux qui utilisent le plus de biocombustibles par tête dans le monde. Nous n’utilisons, pour ce faire, que les résidus des industries forestières et agroalimentaires et les déchets des ménages. L’industrie forestière suédoise, au départ inquiète de la concurrence que pourrait lui faire la biomasse, a réalisé qu’elle pouvait désormais tirer de substantiels revenus de ce qu’elle considérait, jusque-là, comme des déchets non valorisables.

Nos efforts sur le terrain de l’efficacité énergétique et du développement des biocombustibles nous ont permis de développer la compétitivité de notre industrie. Et de moins dépendre des énergies fossiles. Ce qui a été particulièrement apprécié lors de la crise pétrolière des années 2005-2006 qui s’est traduite par une flambée du prix du pétrole à 140 dollars le baril. A ce moment, les industries forestières suédoises qui reposent désormais entièrement sur les biocombustibles pour assurer leurs besoins énergétiques, ont été totalement épargnées par l’augmentation du prix du pétrole. Elles ont même pu vendre leurs surplus à d’autres sociétés. Quand leurs concurrents européens et nord américains, qui étaient encore dépendants du gaz naturel pour faire tourner leurs usines, voyaient fondre leur compétitivité, les industries forestières suédoises accroissaient leurs performances.

 

La Suède va-t-elle pouvoir atteindre l’objectif qu’elle s’est fixée de sortir des énergies fossiles à l’horizon 2050·?

La Suède s’est fixée pour objectif de ne plus être dépendante des énergies fossiles à l’horizon 2050. Les hommes politiques suédois pourront toujours soutenir que le pays n’est plus dépendant du pétrole quand une part significative du bouquet énergétique suédois reposera sur des énergies alternatives. Nous avons réussi, en Suède dors et déjà, à remplacer le pétrole dans le secteur du bâtiment par des réseaux de chauffage urbain à base de biocombustible. Ceux-ci permettent de générer de la chaleur et de produire de l’électricité. Nous avons ainsi entièrement basculé, dans le secteur du bâtiment, vers la biomasse. Dans le secteur des transports, nous avons commencé à introduire des biocarburants. Ceux-ci représentent, à ce jour, environ 5% des énergies utilisées. Outre les biocarburants classiques et les biocarburants de seconde génération qui seront opérationnels dans cinq à dix ans, nous allons augmenter de manière significative l’électricité dans les transports routiers.

 

Faire face avec succès au changement climatique requiert la coopération de l’ensemble de la population. Comment procédez-vous pour obtenir le soutien de celle-ci·?

Grâce au développement des biocombustibles, nous avons réussi, depuis 1990, à poursuivre notre croissance économique tout en réduisant de façon significative l’usage du pétrole et des énergies fossiles. Nous sommes parvenus à sensibiliser et à mobiliser, par exemple, les propriétaires de maisons individuelles qui ont abandonné les énergies fossiles au profit des biocombustibles.

Bon nombre de municipalités ont investi dans des centrales de cogénération qui utilisent de la biomasse pour produire électricité et chauffage central dans de nombreuses villes et villages du pays. Le gouvernement a soutenu la recherche et le développement dans le secteur des biocombustibles tout en mettant en place une taxe sur les énergies fossiles. Ces certificats dits d’électricité verte visent à encourager l’emploi d’énergies renouvelables.

Un autre exemple d’étroite coopération avec la population est le développement de l’incinération de déchets et celui des centrales de cogénération alimentées par des déchets. Les déchets à même d’être incinérés sont, aujourd’hui, utilisés pour produire de la chaleur et de l’électricité. Les déchets organiques servent à fabriquer du biogaz et des fertilisants naturels. Il y a vingt ans, nous connaissions de fortes oppositions contre l’incinération des déchets ménagers. La population préférait que l’on recycle certains déchets comme le papier et le verre plutôt que de les incinérer. Il était évident qu’il était ridicule de brûler des métaux lourds et des batteries qui répandaient dans l’atmosphère des émanations toxiques. Comme il était tout aussi dangereux, d’un point de vu environnemental, de brûler certains déchets ménagers qui génèrent de la dioxine. Les industriels qui ont en charge le secteur des déchets ménagers ont pris en main cette situation difficile en développant des systèmes de recyclage des déchets. Ont été mises en place notamment des collectes séparées des métaux lourds. Parallèlement, l’eau concentrée dans les déchets est réutilisée. La chaleur générée par les brûleurs est récupérée en condensant les gaz d’échappement et cette énergie est utilisée pour alimenter les réseaux de chauffage urbain.

 

La Suède est totalement dépourvue d’énergies fossiles·?

La Suède ne dispose d’aucune ressource en pétrole, en gaz ou en charbon.

Toutes nos énergies fossiles sont importées. L’objectif est donc de réduire massivement ces importations. Le charbon que l’on trouve en Suède est surtout utilisé par l’industrie métallurgique. La quasi totalité du charbon à usage domestique a été remplacé par de la biomasse. Le pétrole, qui servait essentiellement à produire de la chaleur et de l’électricité dans l’habitat dans les années 1970, a été aujourd’hui totalement remplacé par des centrales de cogénération alimentées par des biocombustibles. Reste quelques usages résiduels dans certaines industries. Mais cela décroît rapidement. Le secteur des transports est le seul secteur dans lequel le pétrole est encore utilisé de manière significative.

Nous utilisons très peu le gaz naturel en Suède. Nous n’y avons recours que pour quelques centrales de cogénération et pour produire un peu d’électricité pour quelques industriels.

 

Qu’en est-il de la part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique suédois·?

Notre grand succès de la dernière décennie a été le développement des biocombustibles. Mais, aujourd’hui encore, la Suède satisfait une bonne partie de ses besoins énergétiques grâce à l’énergie hydroélectrique qui est abondante chez nous mais aussi au nucléaire. Nous comptons beaucoup, dans un avenir proche, sur le développement de l’énergie éolienne. Celui ci a été retardé car nous disposions de réserves importantes d’électricité d’origine hydroélectrique mais aussi parce que nous avons construit plus de centrales nucléaires, dans les années 1970 et 1980, qu’il n’était économiquement justifié. Cette surcapacité a généré une baisse des prix de l’électricité et ôté tout intérêt au développement de sources d’énergies renouvelables.

Depuis que l’internationalisation du marché de l’énergie a fait remonter les prix, l’énergie éolienne est devenue intéressante, même en Suède. Elle représente aujourd’hui 1 à 2 % de notre bouquet énergétique. Nous voulons augmenter la production de 2 TWH aujourd’hui à 30 TWH (1) par an en 2020. En 2007, le plus grand parc d’éoliennes d’Europe du Nord a été inauguré dans l’Öresund, au large de la Côte Sud de la Suède. Au total, 48 turbines sont en place, générant en tout 110Mwh, ce qui répond aux besoins en électricité de 60·000 foyers.

 

Est-ce que le secteur public a conduit le changement dans le secteur des énergies·?

L’énergie éolienne a toujours été l’objet d’un intérêt très fort de la population.

Bon nombre des premières éoliennes ont été bâties par des particuliers qui se sont regroupés pour les financer puis les faire construire. C’est encore le cas aujourd’hui. Mais s’agissant des très grosses unités comprenant des dizaines, voir des centaines de turbines, ce sont les grands industriels de l’énergie et de l’industrie qui sont impliqués.

 

La Suède devra-t-elle encore compter sur l’énergie nucléaire, dans un futur proche, pour produire de l’électricité·?

Le Parlement Suédois a pris la décision, en 1980, d’achever la construction des 12 réacteurs nucléaires en projet avant de mettre un terme au développement de cette énergie.

Le gouvernement a décidé, par la suite dans les années 1990, de fermer deux réacteurs nucléaires. L’énergie produite par ces deux réacteurs devait être remplacée par l’énergie éolienne et la biomasse.

Le gouvernement de droite formant le «·bloc «·dit·» bourgeois·», en place depuis 2006, a pris la décision, dans une loi récente, d’autoriser la construction de nouveaux réacteurs nucléaires. Il revenait ainsi sur la législation antérieure qui avait proscrit la construction de nouveaux réacteurs. Il a argué, pour ce faire, de la nécessité de construire de nouveaux réacteurs pour remplacer une unité qui avait du être fermée.

Parallèlement, cette même loi a mis l’accent sur la responsabilité économique des propriétaires de réacteurs en cas d’accident et durcie la législation en matière de stockage des déchets. Malgré cette nouvelle loi, il y a peu de chance qu’un nouveau réacteur soit construit, ce principalement pour des raisons de compétitivité économique. Il est devenu difficile de soutenir que le nucléaire - une énergie de plus en plus chère- a encore un rôle économique à jouer au moment où l’éolien est devenu de plus en plus accessible.

 

Le nouveau gouvernement a donc fait fi du référendum populaire de mars 1980 qui s’était prononcé pour une sortie du nucléaire à l’horizon 2010·?

Le gouvernement est en effet en train de revenir sur cette décision si l’on se place au niveau légal. Mais au sein même du gouvernement, ceux qui demeurent opposés au nucléaire semblent dire que cette loi n’aura pas réellement de conséquence car nous sortirons de toute façon, selon eux, du nucléaire pour des raisons économiques.

 

Que pouvez-vous· faire pour améliorer le niveau de sécurité des centrales nucléaires ?

Nous avons connu des problèmes, l’an passé, au sein du plus récent et du plus important des réacteurs nucléaires suédois. Nous avons dû fermer deux de nos plus gros réacteurs pendant trois mois, soit une bonne partie de l’hiver. Le même réacteur a enregistré, cet hiver, de nouveaux problèmes bien que les pièces litigieuses aient été changées. Celles ci ont à nouveau cassé, une seconde fois, dans un très court laps de temps. Ces incidents ont permis de rappeler aux opérateurs du secteur énergétique que les réacteurs nucléaires, même s’ils sont contrôlés, demeurent en partie imprévisibles.

Les problèmes posés, de leurs côtés, par l’énergie éolienne et l’énergie solaire tiennent au fait que l’on ne sait pas à l’avance quand ces unités fonctionneront et produiront de l’électricité.

 

Comment gérez-vous les déchets nucléaires produits par les centrales·?

La Suède a opté, en matière de gestion des déchets nucléaires, pour un stockage à long terme de ceux-ci. Nous essayons, depuis de longues années, de développer une méthode pour stocker les déchets nucléaires dans des boites en acier étanches dont les parois sont recouvertes de plaques de cuivre. Avant de les enfouir profondément dans le sous-sol, à plus 100 mètres en-dessous de la surface. Les industriels, propriétaires des centrales nucléaires qui conduisent ces recherches, en sont arrivés à la phase de sélection des sites où seront enfouis ces déchets. Il devrait s’agir d’une des communes où se trouvent déjà implantées les réacteurs nucléaires les plus importants. L’opinion publique semble plutôt favorable à une telle solution. Ce qui n’est pas le cas des organismes de protection de l’environnement. Ceux ci reprochent aux autorités nucléaires d’avoir choisi ces sites non en raison de critères de sécurité liés à la biologie des sols mais du fait de l’absence d’opposition de l’opinion. Aujourd’hui, les décisions adoptées par les industriels du nucléaire n’ont pas encore été entérinées par le pouvoir politique. Le débat public se réveillera probablement au moment où la décision approchera.

 

(1). L’énergie est exprimée en watts heures. 1 TWH correspond à un milliard de kwh.

 

Pour aller plus loin·:

 

www.energimyndigheten.se : le site de l’Agence suédoise de l’énergie

www.energy.eu : portail européen de l’énergie

www.copenhague-2009.com : on retrouvera sur ce site une pétition lancée par onze associations écologiques et humanitaires pour exiger du Président français qu’il s’engage à fixer un objectif d’au-moins -40% de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2020.

www.leclimatentrenosmains.org : le site de la Revue durable qui invite chacun à adopter des actions adaptées à sa situation.

 

 

Citation

"L'utopie est un mirage que personne n'a jamais atteint, mais sans lequel aucune caravane ne serait jamais partie."

Proverbe arabe