Montée en flèche des inégalités, folies du capitalisme financier révélées par la crise des «·subprimes·», épuisement des ressources naturelles et dérèglement des écosystèmes, crise alimentaire mondiale. Vingt ans après la chute du mur de Berlin, qui avait fait croire à «·la fin de l’histoire·», la globalisation
révèle de plus en plus son caractère pernicieux. Est-ce le début de la fin de la globalisation s’interrogent Marie-Paule Virard, journaliste, ex-rédactrice en chef du magazine Enjeux-Les Echos et Raoul-Marc Jennar, docteur en sciences politiques et chercheur sur les dossiers·de l’Organisation mondiale du commerce.
La globalisation a eu pour effet d’accroître les inégalités entre une minorité de privilégiés et une majorité de laissés pour compte. Ne risque-t-elle pas aussi de miner la cohésion sociale et de fragiliser les démocraties·?
Marie-Paule Virard. La globalisation a permis à environ 1 milliard de salariés des pays émergents de sortir de la misère et donné des débouchés aux entreprises des pays développés. Les prix se sont mis à baisser. Le loyer de l’argent aussi. Autant de facteurs favorables à la croissance. En revanche, nous avions en effet négligé son impact sur l’emploi et les inégalités. Depuis quinze ans, le transfert de nombreuses activités productives des pays avancés vers les émergents s’est accéléré. Les économies développées se sont repositionnées aux extrêmes·: d’un côté, les secteurs qui profitent de la globalisation (finance, transport, informatique, etc)·; de l’autre, ceux qui n’ont pas à affronter la concurrence internationale (services à la personne, construction, etc). Au milieu de tout cela, les secteurs industriels traditionnels et leurs salariés ont payé un lourd tribut en matière d’emploi et de salaire. La globalisation, de ce point de vue, a joué le rôle d’une machine inégalitaire avec l’ouverture irrésistible des écarts au profit d’une infime minorité et la stagnation du pouvoir d’achat pour le plus grand nombre. Dès lors comment ne pas redouter les effets délétères de cette poussée inégalitaire au moment où, par ses excès, le capitalisme financier donne le sentiment d’être profondément déréglé sinon corrompu·?
Raoul-Marc Jennar. J’en suis profondément convaincu. La globalisation a pour ambition d’appliquer à l’ensemble de la planète des théories politiques qui visent à créer une «·concurrence libre et non faussée·» en éliminant tout ce qui s’oppose à la compétition économique. Les textes fondateurs de l’Organisation mondiale du commerce (O.M.C.) se fixent ainsi pour objectif de supprimer tous les obstacles à la concurrence qu’ils soient tarifaires (droits de douane) ou non tarifaires (réglementations sur les douanes), mais aussi toutes les réglementations locales comme la constitution d’un pays. Des systèmes démocratiques, des réglementations en matière de protection sociale et de santé publique, fruit de siècles de combats, peuvent être abrogés s’ils sont considérés comme des obstacles à la concurrence. Les droits à la santé, au logement et à l’éducation qui relèvent des droits fondamentaux de l’humanité sont aujourd’hui de moins en moins respectés. La destruction des instruments régulateurs, induite par la globalisation, a aggravé les inégalités, et conduit à des crises graves comme la crise alimentaire mondiale. Cette dernière ci est la conséquence directe de l’accord agricole de l’O.M.C. Quand le Mexique est entré dans l’ALENA (Accord de libre échange Nord-Américain), il était exportateur net de produits agricoles. Soumis à la concurrence sauvage des entreprises agricoles américaines, ce pays est devenu importateur net. Ses agriculteurs n’ont pu faire face à la concurrence américaine. La globalisation revient à mettre sur un ring, lors d’un combat de boxe, des poids plumes et des poids lourds (les multinationales) qui, seuls, peuvent l’emporter.
Privilégier la rentabilité financière et les profits immédiats par rapport à la création de richesses et d’emplois sur le long terme, comme le font actuellement les acteurs économiques, ne risque-t-il pas de condamner la globalisation à terme·? Est-ce le début de la fin de la globalisation·?
M-P.V. La soif de rendement met en danger l’économie mondiale car pour qu’une entreprise ou un fonds d’investissement affiche durablement –comme l’exige les actionnaires- un rendement du capital de 15% à 25%, il faut forcément comprimer inutilement les salaires et surtout renoncer à entreprendre des projets d’investissement ou de recherche à horizon long mais dont la rentabilité n’est pas forcément avérée à court terme. Il faut aussi prendre des risques inconsidérés pour servir ce type de rendement. Tout cela ne peut que déboucher sur une croissance faible, sur des faillites et in fine sur le rejet du capitalisme globalisé par les opinions publiques dès lors que la déformation du partage des revenus se fait au profit des seuls actionnaires. Voilà pourquoi, si rien ne change, la question de la pérennité de la globalisation comme système économique ouvert sera à nouveau posée.
R-M.J. Il m’est difficile de vous répondre car je n’ai pas d’expertise en matière financière. Je pense néanmoins que la somme des intérêts privés concoure rarement à l’intérêt général. Le secteur privé n’investira jamais par exemple dans des projets qui n’offrent pas de rentabilité immédiate comme le TGV dont le retour sur investissement ne peut être attendu avant 40 à 50 ans.
L’obsession du court terme, manifeste chez les investisseurs privés, est tout aussi prégnante du côté des décideurs politiques. Peut-être trouve t-on là une des explications au triomphe de la globalisation·? Car, celle-ci n’est pas un phénomène naturel. Elle est le résultat de négociations menées, dans le cadre de l’O.M.C., de la Banque mondiale ou du F.M.I, par ceux qui nous gouvernent quelque soit leur étiquette politique.
La raréfaction à court terme puis l’épuisement des ressources fossiles à moyen terme, et plus largement le caractère insoutenable de notre modèle de développement d’un point de vue environnemental, ne vont-il pas nous conduire, de gré ou de force, vers une relocalisation de nos économies ?
M-P. V. En poussant les feux de la croissance mondiale, la globalisation a «·emballé·» la consommation des matières premières mais aussi des émissions de gaz à effet de serre. Une certaine relocalisation économique, au moins régionale, constitue une réponse à l’explosion des coûts de transport, des nuisances environnementales et de la consommation d’énergie non renouvelables. Le mouvement d’Asie vers l’Europe de l’Est est d’ailleurs amorcé par certaines firmes européennes. D’une manière plus générale, la prise de conscience des limites d’une globalisation non maîtrisée incite à revisiter l’équilibre de l’action économique entre global et local. Entre l’économie monde et le territoire.· Pour autant, il serait dangereux de confondre relocalisation maîtrisée et protectionnisme déguisé qui pèserait sur la croissance et dont les perdants seraient forcément les plus fragiles, dans les pays riches comme dans les émergents·! C’est à mon sens le grand risque des mois et des années qui viennent.
R-M.J. La formule est alléchante. Il est certain que les problèmes énergétiques risquent de contracter les échanges internationaux. Mais il est peu probable qu’ils se réduisent au point de provoquer une relocalisation. Il serait pourtant souhaitable que voient le jour des formes d’économie locale, plus proches des gens et moins dispendieuses en ressources naturelles. Nous observons et ressentons les maux de la globalisation mais nous n’avons pas pour autant d’alternatives à proposer. La pensée est un peu en panne et trop rares les hommes qui se projettent dans cet avenir plus incertain que jamais pour tenter d’inventer et d’ouvrir de nouvelles voies. Il n’y a plus aujourd’hui d’espérance porteuse. L’humanité sera-t-elle assez sage pour prendre les mesures qui s’imposent pour prévenir une catastrophe écologique qui se traduirait par des coûts humains majeurs·? Ce n’est pas sûr.
Lire·:
Globalisation·: le pire est il à venir·? De Patrick Artus et Marie-Paule Virard (la Découverte 2008)
L’AGCS·: quand les Etats abdiquent face aux multinationales de Raoul-Marc Jennar et Laurence Kalafatides (Raisons d’agir 2007)
O.M.C., le pouvoir invisible par Agnès Bertrand et Laurence Kalafatides (Fayard).