Armés d'un serpent pour emblème et d'un acronyme venimeux –COBRA- un groupe de jeunes artistes européens a cherché, à la fin des années 1940, à «·extirper l’art du carcan dans lequel il se trouvait ». Rétrospectives à Bruxelles et Amsterdam à l’occasion des soixante ans du mouvement.

Ils ont voulu faire table rase d'une culture occidentale jugée inhibitrice et repartir de zéro pour s'exprimer de façon totalement spontanée à l'instar des enfants et des artistes primitifs.

Puisant librement dans leur inconscient, ils donnent vie à des créatures fabuleuses et mythologiques : oiseaux géants, chevaux de légende, dieux mystérieux, créatures masquées et petits êtres étranges barbouillés de couleurs vives et chaleureuses. Généreux utopistes, ils militent pour la démocratisation de l’art, pour un art populaire nouveau qui permette de libérer l’imaginaire de chacun. «·Nous devons faire de tous les hommes des artistes, tonne Carl-Henning Pedersen. Car ils le sont. Simplement, ils ne le croient pas (…). Ils ne savent pas que l’art habite dans l’homme, qu’il ne se manifeste que par les tâtonnements de l’homme, dans les jeux avec les pierres, les couleurs, les mouvements et les ton ».

Le groupe COBRA (correspondant aux premières lettres des villes Copenhague, Bruxelles, Amsterdam desquelles étaient issus les membres du groupe) est constitué des danois Asger Jorn et Carl-Henning Pedersen, des hollandais Karel Appel et Constant Anton Nieuwenhuys ainsi que des belges Corneille, Pierre Alechinsky et Christian Dotremont. Il naît en novembre 1948 à Paris, au café de l'hôtel Notre dame. Se joindront par la suite à ce "clan de vikings", selon les mots d'un critique d'art, les Français Jean-Michel Atlan et Jacques Doucet. Cette collaboration internationale, phénomène exceptionnel dans le monde de l'art, fut de courte durée puisque Cobra disparaîtra en novembre 1951 après trois expositions communes et l'édition de 8 numéros de leur revue dirigée par Christian Dotremont.

Leur première exposition en 1949 à Amsterdam fit l'effet d'une bombe auprès d'un public dérouté par ce nouveau langage. Le rejet a vite laissé place, dans les pays scandinaves puis dans le monde entier, à une reconnaissance sans réserve.

Plusieurs expositions sont organisées à Bruxelles et Amsterdam à l’occasion du 60e anniversaire de la naissance de Cobra. Les Musées royaux des Beaux-arts de Belgique à Bruxelles ont choisi de se pencher sur la naissance et les premières années de ce mouvement à travers une sélection forte de 150 œuvres. Toujours à Bruxelles, le Palais des Beaux-arts se propose, lui, de revisiter à travers des estampes, gravures et autres imprimés, le travail de ces artistes qui n’ont eu de cesse de faire cohabiter les arts plastiques et littéraires, les toiles avec les estampes, les livres et les affiches.

Plus au Nord, aux Pays-Bas, terre natale de Karel Appel et de Constant, le Musée Cobra, sis à Amstelveen à quelques kilomètres d’Amsterdam, présente une exposition intitulée «·Barbouilleurs, bousilleurs et bricoleurs·». Autant de surnoms dont furent affublés, à la fin des années quarante, ces artistes rebelles qui ont voulu «·extirper l’art du carcan dans lequel il se trouvait », le sortir de son embourgeoisement. Quelques 70 huiles, gouaches, estampes et documents illustrés permettent de revivre les premières années de l’épopée Cobra devenu l’un des principaux mouvements du XXe siècle.

Barricade, une toile de 1949 de Constant traduit bien cet engagement révolutionnaire à l’écart des courants. L’artiste montre des bouches grandes ouvertes laissant apparaître des dents prêtes à mordre la vie.

Plusieurs huiles remplies de visages-masques et d’évocations enfantines et spontanées dont La Peur de Karel Appel (1952) et Le réveil d’Asger Jorn (1953) témoignent aussi du primitivisme de l’art Cobra. Pour retrouver l’expression la plus spontanée, ils n’hésitent pas à se défaire des canons traditionnels de la beauté, des matériaux nobles et à renier la séparation des disciplines artistiques. Ils décloisonnent les spécialités en associant étroitement le stylo et le pinceau. Les peintres Corneille, Alechinsky et Appel écrivent. Le poète Christian Dotremont trace des logogrammes.

Soixante ans après la création du mouvement Cobra, l’œuvre de ces artistes apparaît étonnamment contemporaine. Peut-être est-ce dû à leur capacité à anticiper des combats et prises de conscience actuels comme ceux du nécessaire dialogue des cultures et de l’unité de toute la Création ·? «·La plupart des mouvements qui se meuvent dans le monde misent sur les différences qui séparent les hommes, les nations, les artistes, les activités, peut on lire en 1950 dans le Numéro 7 de la Revue Cobra (…). Cobra, par contre, ne mise ni sur les oppositions, ni sur l’uniformité mais sur le plus grand commun dénominateur des hommes. (…). Cobra aime à embrasser, non à baiser la main·; à étreindre, non à étouffer.·»

Eric Tariant

Cobra 60 «·barbouilleurs, bousilleurs, bricoleurs·», jusqu’au 25 janvier 2009 au

Musée Cobra d’art moderne

Sandbergplein 1

Amstelveel

Pays-Bas

Tél·: + 31 (0) 20·547 5020

www.cobra-museum.nl

«·Cobra·»

Aux Musées royaux des Beaux-arts de Belgique

Jusqu’au 15 février

3, rue de la Régence

1000 Bruxelles

Tél·: + 32 2508 32 11

www.fine-arts-museum.be

«·Cobra & Cie·»

Jusqu’au 4 janvier

Palais des Beaux-arts

23, rue Ravenstein

1000 Bruxelles

Tél·: + 32 2·507 82 00

www.bozar.be

 

 


Citation

"L'utopie est un mirage que personne n'a jamais atteint, mais sans lequel aucune caravane ne serait jamais partie."

Proverbe arabe

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