Europe, la fin du rêve ?
«·Si le peuple ne peut dissoudre le gouvernement ne serait-il pas plus simple pour le gouvernement de dissoudre le peuple et d’en élire un autre·?». Bertolt Brecht
Le 29 mai 2005, 54,6 % des électeurs français,
consultés par référendum, ont dit non au projet de Traité établissant une constitution européenne (TCE). Quelques jours plus tard, en juin 2005, les citoyens néerlandais ont repoussé à leur tour le Traité constitutionnel européen par 62% des voix. Pour contourner le rejet exprimé par ces deux peuples –et qui l’aurait été par d’autres si le TCE avait été soumis à référendum dans tous les pays membres de l’Union- un nouveau texte, copie conforme du premier, a été
soumis en décembre 2007 à Lisbonne aux 27 chefs d’État et de gouvernement européens qui se sont empressés de le signer. Les parlementaires français ont donné, en février 2008, leur feu vert à la ratification de ce traité quasiment identique à celui qui avait été rejeté par une majorité de Français il y a trois ans.
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Le traité de Lisbonne, qui ne comporte de l’aveu même de Valéry Giscard d’Estaing «·pas de différence substantielle » avec le projet de traité constitutionnel européen, entrera très probablement en vigueur durant l’été 2009 ou en début d’année 2010 après ratification par les 27 états membres. Un an après que 53,4% des citoyens ·irlandais aient, à leur tour le 12 juin dernier, voté «·non·» à ce Traité qu’on leur soumettait.
Membre du conseil scientifique d’ATTAC, politologue, auteur de plusieurs ouvrages sur l’Europe, Raoul-Marc Jennar,··politologue, auteur de plusieurs ouvrages sur l’Europe,·qui a été à la pointe du combat contre le projet de constitution européenne en 2005 revient, dans cet entretien, sur ces violations manifestes des droits des peuples. Il tire les leçons des «·nons·» français, néerlandais et irlandais au TCE et au Traité de Lisbonne, dénonce l’absence de démocratie des institutions européennes qui servent, selon lui, davantage l’intérêt des milieux financiers et des lobbies d’affaires que l’intérêt général. Et s’interroge sur la possibilité de bâtir une autre Europe en l’absence d’une réelle volonté politique.
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Quel regard portez-vous sur les premiers mois de présidence française de l’Union européenne·?
La présidence a été instruite, préparée par des documents et des déclarations qui montrent très clairement que nous nous trouvons face à une présidence très néolibérale.
Sur plusieurs points comme les négociations à l’O.M.C mais aussi sur le chapitre agricole, nous nous trouvons bien ici dans la logique de la globalisation. Nicolas Sarkozy a complètement enterré l’Europe sociale à cette occasion.
Il a dit expressément, lors d’une déclaration, que l’Europe sociale n’existait pas, que le social n’était pas une matière européenne.
C’est, dans l’histoire de la construction européenne, entre 1957 et 1986, que s’est construit le petit volet Europe sociale que nous connaissons aujourd’hui.
A partir de 1986, et de l’Acte Unique européen impulsé par Jacques Delors, on ne cesse de promettre une Europe sociale que l’on ne voit jamais venir. Au moment du vote du traité de Maastricht, Jacques Delors a soutenu qu’il fallait d’abord voter ce traité et que l’on réaliserait l’Europe sociale par la suite. On l’attend toujours.
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Quelles conclusions, quelles leçons tirez-vous du «·non·» irlandais au Traité de Lisbonne?
Le non irlandais est le produit de motivations très diverses qui sont loin d’être convergentes. Il y a un non de gauche, un non de droite, un non fondé sur des peurs dont celle de la dépénalisation de l’avortement. Il me semble, aujourd’hui, que c’est le sentiment d’impuissance des peuples par rapport à l’Europe qui est à la base de ces non massifs, qui se sont exprimés en France, aux Pays-Bas comme en Irlande. Le sentiment de ne pas avoir prise sur la marche de l’Europe. On peut changer de maire, de député, de président de la République mais on ne peut pas changer de Commission européenne ai-je entendu à plusieurs reprises lors des conférences que j’ai données en France avant le référendum de 2005 sur le TCE.
Il y a un sentiment d’impuissance populaire, le sentiment que toutes les conquêtes démocratiques sont abolies et que l’avenir de l’Europe échappe aux gens. Le principe «·tous les pouvoirs émanent du peuple·» arraché en 1789 est réduit à néant avec l’Union européenne.
J’ai entendu de tels propos dans des termes très clairs y compris dans des pays où il est presque hérétique de critiquer l’Europe. Pendant quarante ans, on a considéré en Belgique, mon pays d’origine, que tout ce qui venait de l’Europe était bon par nature. Ce n’est plus vrai. Tout a changé à partir du traité de Maastricht, puis de l’entrée en vigueur de l’Euro qui s’est traduite par une hausse importante des prix dont ont souffert les populations. Un doute, un scepticisme sur la construction européenne a commencé à se manifester à ce moment là.
On reproche aussi à l’Europe son absence de démocratie et de justice sociale comme le débat sur la directive Bolkestein l’a révélé. Les populations ne comprennent pas que l’Europe se traduise par une concurrence entre les peuples européens ou encore que l’Europe refuse l’idée même du principe d’un SMIC. Je crains que l’immense espérance qu’ont placée dans l’Europe les 12 pays qui nous ont rejoints se traduise très rapidement par d’immenses déceptions et dans un second temps par un regain de nationalisme.
L’Europe telle qu’elle se fait est en train de mettre en place les germes de sa propre destruction. Or, je crois que nous avons besoin d’Europe. D’une Europe qui ne soit pas seulement un projet idéologique néolibéral et qui se construise sous contrôle démocratique.
Il faut reconnaître que le vers était dans le fruit depuis le début. La liberté de circulation des personnes, des biens et des services était inscrite dans le Traité de Rome de 1957. Mais, il fallu attendre 1986 pour que ces principes entrent véritablement en vigueur avec l’adoption de l’Acte unique européen puis celle du Traité de Maastricht qui poursuit cette marche vers un marché unique.
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Le Traité de Lisbonne signé en décembre 2007 n’est il pas un simple copier-coller du projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe (TCE) rejeté en 2005 par les peuples français et néerlandais·?
Valéry Giscard d’Estaing l’a lui-même soutenu. Il a précisé que l’essentiel du TCE avait été repris dans le traité dit simplifié. De retour de Lisbonne, en décembre 2007, Sarkozy a soutenu que la concurrence libre et non faussée n’existait plus. Ce qui est complètement faux. Un article du Traité de Lisbonne évoque la concurrence qui doit être libre, et, un protocole additionnel précise que la concurrence ne peut être faussée. L’orientation de fond du Traité de Lisbonne est celle d’une Europe néolibérale qui poursuit sa volonté de démanteler les services publics. Qui a pris parti contre le TCE ne peut que s’opposer au Traité de Lisbonne qui ne comprend aucune réelle avancée démocratique. Une vraie démocratie est une démocratie qui connaît la séparation des pouvoirs. Or, cette séparation des pouvoirs n’existe pas du tout au niveau de l’Europe. En outre, en vertu du Traité de Lisbonne, le parlement européen n’a toujours aucun pouvoir de proposer des textes de loi. Le monopole de l’initiative reste entre les mains de la seule Commission européenne. Le Parlement ne peut pas non plus voter les recettes. Il peut, en revanche depuis le Traité de Lisbonne, voter la totalité des dépenses. En outre, le système de la co-décision est étendu à davantage de matières. Le parlement va donc être davantage législateur mais dans un système où ses pouvoirs sont limités. Son seul vrai pouvoir reste celui de dire non.
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Qui sont donc les grands gagnants de ce Traité de Lisbonne en termes institutionnels·?
Ce sont la Commission européenne et les lobbies qui sont derrière elle et qui représentent le secteur privé européen et les branches européennes des firmes américaines. Les avancées démocratiques sont très limitées et sont contrebalancées par certains textes qui entraînent de réelles régressions démocratiques. Notamment avec les pouvoirs conférés à la Commission européenne lors des négociations à l’OMC qui consolident des pratiques antidémocratiques. Le citoyen est bien le grand perdant de ce traité.
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Le débat sur les finalités de l’intégration européenne n’a toujours pas eu lieu. La croissance et la course au profit demeureraient, selon vous, les seuls moteurs de l’Union européenne·?
C’est le grand drame. On fait l’Europe pour faire l’Europe sans que l’on ait défini de véritable cap. Nous avons la chance qu’il n’y ait plus aujourd’hui de situation de guerre entre l’Angleterre, la France et l’Allemagne comme on en a connu par le passé. Mais cette avancée ne suffit pas à faire accepter l’Europe telle qu’elle se construit. Les questions essentielles ne sont jamais posées. Quelle Europe voulons-nous·? Dans quel objectif et pour quelle finalité·? Et qui veut de cette Europe·? Nous nous comportons comme si les 27 peuples de l’Union européenne adhéraient à des objectifs qui n’ont été définis nulle part. Tant que nous n’aurons pas le courage de mettre ces questions à plat, nous allons continuer à produire des monstruosités comme le Traité de Lisbonne. Et nous limiter à construire un grand marché qui ne peut qu’entraîner de plus en plus le rejet de l’Europe. Que fera t-on quand l’Europe sera rejetée par les peuples des 27 pays membres ?
Il ne faut pas non plus que l’Europe s’occupe de tout. J’ai été furieux d’entendre il y a quelque temps Jacques Barrot, le commissaire européen aux transports, se réjouir que la Commission européenne ait adopté un projet de directive sur les transports en commun municipaux. De quoi vous mêlez-vous·? avais-je envie de lui dire. En quoi la Communauté européenne est elle concernée par la manière dont on fait circuler les trams à Marseille, Bruxelles ou Paris·? En réalité de tels textes visent à réglementer les marchés publics de façon à ce que la concurrence ne soit pas faussée. A partir du moment où l’on produit une activité de service, le fournisseur de celui-ci ne relève plus de la réglementation municipale ou de la législation nationale, c’est-à-dire de choix politiques issus d’institutions issues du suffrage universel, mais bien des règles européennes sur la concurrence que les citoyens n’ont pas le pouvoir de modifier. On atteint ici l’inacceptable. Ce qui doit avoir prééminence sur les règles de la concurrence, c’est le principe selon lequel les activités de service permettent aux citoyens d’exercer des droits collectifs fondamentaux·: accès à la santé, à l’enseignement, à la culture, aux transports, etc.
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Le principe de subsidiarité, qui vise à privilégier le niveau inférieur d'un pouvoir de décision aussi longtemps que le niveau supérieur n'est pas capable d'agir plus efficacement, n’a-t-il pas été vidé de son contenu·?
Il a en effet été complètement dévoyé. Ce principe de subsidiarité provient en fait de la doctrine politique fédéraliste. Aux Etats-Unis, il se traduit par un combat permanent, une véritable partie de bras de fer opposant les Etats fédérés et l’Etat fédéral tant les Etats fédérés sont jaloux de leurs prérogatives.
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L’une de vos principales critiques à l’égard de la construction européenne réside dans son absence de démocratie. Vous lui reprochez de se construire en dehors des citoyens et sans transparence aucune. Que faudrait-il faire pour démocratiser les institutions européennes·?
Il faudrait d’abord que le Parlement européen soit un vrai parlement. Il faudrait que ce Parlement soit élu sur base d’une législation électorale identique pour les 27 pays. Il faudrait qu’il ait un pouvoir d’initiative, qu’il vote la totalité du budget et l’intégralité des dépenses. Qu’il puisse être législateur à part entière et puisse avoir un véritable pouvoir de contrôle. Il faudrait que la Commission soit responsable devant ce Parlement. Le choix du futur président de la Commission échappe totalement au Parlement. Il est le fruit d’une négociation entre gouvernements. Savez-vous comment a été choisi l’actuel président, José Manuel Barroso·? Il est sorti du chapeau lors d’une réunion du Groupe de Bilderberg, un groupe de pression qui réunit, chaque année depuis 1954, quelques 120 à 150 banquiers, hommes politiques, industriels, universitaires, hauts fonctionnaires, personnalités d’influence. Barroso a ensuite négocié avec les différents gouvernements pour la composition de la Commission. Chaque membre de la Commission doit ensuite passer devant une commission du Parlement européen où il est mis sur le gril. Mais on ne tire pas les conséquences de ces auditions. La Commissaire à l’agriculture est propriétaire avec son mari d’un réseau de fermes au Danemark et dans les pays baltes. Le service juridique de la Commission européenne avait signalé qu’il y avait là un risque de conflit d’intérêts. Personne n’en a tiré les conséquences et la Commissaire est restée en place. C’est aussi, grâce à cette audition devant le Parlement, que l’on avait appris que Pascal Lamy, alors commissaire européen au commerce et aujourd’hui directeur général de l’OMC, avait été pendant dix ans le représentant pour l’Europe de la Rank corporation, le centre d’études du lobby militaro-industriel américain. Il siégeait au même moment au bureau du Parti socialiste.
Le Parlement ne peut se manifester dans un second temps que par un vote bloqué en acceptant ou rejetant en bloc la composition de la Commission. Il faut que le Parlement ait un vrai rôle de législateur et un vrai pouvoir de contrôleur, mais aussi qu’il vote le budget. C’est un minimum pour une Union européenne qui ne cesse de donner des leçons de démocratie à l’Asie, à l’Amérique latine et à l’Afrique.
Il faudrait aussi qu’il y ait, en Europe, une véritable séparation des pouvoirs entre l’Exécutif et le Judiciaire. Pour que les magistrats soient réellement indépendants, tous les étudiants en droit savent qu’il est nécessaire de mettre en œuvre ce que l’on appelle leur inamovibilité qui s’oppose à ce que l’on puisse déplacer un juge qui déplaît. Au niveau européen, de telles règles n’existent pas. Les juges de la Cour de justice des Communautés européennes sont nommés pour six ans renouvelables. En conséquence, vous ne verrez jamais un juge européen rejeter un document si ce rejet risque de compromettre le renouvellement de son mandat à la Cour de justice. Les juges européens sont sous contrôle. Pour moi, la Cour de justice des Communautés européennes n’est pas indépendante. Elle excède en outre ses pouvoirs. La Cour de justice confère, chaque fois qu’elle le peut, du pouvoir à la Commission européenne. Il y a une espèce de complicité de fait entre ces deux institutions qui se consolident mutuellement. Aujourd’hui, par exemple, la Commission n’est pas compétente en matière d’œnologie, domaine qui est du ressort du Conseil des ministres de l’agriculture qui doivent statuer à l’unanimité. Dans sa proposition de modification du marché du vin, la Commission s’est accordé cette compétence. Il en est allé de même pour les règles d’étiquetage. La Cour de justice aurait dû relever qu’à deux reprises, dans son texte, la Commission avait outrepassé ses pouvoirs. Jamais la Cour de justice ne le fera. Il y un réel danger à laisser un tel monopole de l’initiative à la Commission. Le Conseil des ministres décide sur la base de textes adoptés par des comités très opaques dépendants de la Commission. J’ai raconté dans Europe, la Trahison des élites (Fayard) comment la Commission a accepté les accords de l’OMC et le mandat de Pascal Lamy pour aller négocier à Seattle. Ce document faisait plus de mille pages. Les ministres n’ont jamais eu le loisir de lire ces mille pages. Ils ont dû se contenter d’une synthèse de 25 pages. S’ils n’ont pas des conseillers vigilants, les ministres adoptent de textes qu’ils ne connaissent pas.
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Vous montrez dans votre livre Europe, la trahison des élites que les institutions européennes et en particulier la Commission et ses multiples comités restreints constituent en quelque sorte le cheval de Troie de la mondialisation néolibérale. Ne faudrait-il pas placer ces institutions à l’abri des groupes de pression de la finance et des affaires·?
Il faudrait parvenir à plus de transparence en adoptant le type de règles en vigueur aux Etats-Unis. Le Congrès américain a réglementé l’action des lobbies. En Europe, le pouvoir des lobbies a pris des proportions scandaleuses. Des réunions informelles du Comité 133 rattaché à la Commission européenne se tiennent avec le lobby des entreprises de services. Cela ne devrait pas être permis. Les représentants des lobbies ne devraient pas avoir une telle facilité d’accès au Parlement européen. Il n’est pas rare que les lobbies de la chimie ou de la pharmacie bénéficient de stands d’exposition au sein même du Parlement européen pour vanter leurs produits. Il y a une porosité du Parlement européen aux lobbies qui est scandaleuse. Le principe, souligné par Montesquieu, qu’il faut à tout pouvoir un contre pouvoir demeure d’une brûlante actualité. L’absence de contre pouvoir annonce la fin de la démocratie.
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Face à ces dérives, vous proposez de créer un contre-pouvoir citoyen. Quelles formes pourrait-il prendre·?
Je suis très sévère vis-à-vis des Etats-Unis mais j’admire certaines de leurs règles institutionnelles. Je rêverais que le Parlement européen puisse jouir des pouvoirs du Congrès des Etats-Unis et que les citoyens européens bénéficient des pouvoirs des citoyens américains comme celui que leur donne Le Freedom information act. J’ai eu l’occasion de me rendre à la Bibliothèque du Congrès des Etats-Unis. J’ai demandé de pouvoir consulter un livre pourvu d’une cote que je ne connaissais pas. Un bibliothécaire m’a signalé que ce livre publié par la CIA n’était accessible qu’aux seuls citoyens américains. J’ai pu consulter cet ouvrage de la CIA par l’entremise d’un américain. Un citoyen doit pouvoir avoir accès à des documents administratifs de façon transparente. Nous avons en Europe une telle tradition du secret. Une Europe démocratique devrait être, selon moi, une Europe transparente. Le comité 133 qui est le vrai lieu de la décision pour toutes les négociations commerciales internationales qu’elles se tiennent à l’OMC ou dans un cadre bilatéral, rassemble les 27 représentants et ceux de la Commission dans des conditions d’opacité extraordinaire.
S’il y avait une réelle volonté politique l’Europe serait réformable. Mais cette volonté, manifestement, n’existe pas. Si je devais, aujourd’hui, écrire un ouvrage sur l’Europe, je l’intitulerais, «·l’Europe·: la fin du rêve·?·». La violence avec laquelle on cherche à imposer aux populations ce dont elles ne veulent pas m’interpelle de plus en plus. Le TCE rejeté, les élites nous imposent désormais le traité de Lisbonne. Récemment, un groupe parlementaire, à Strasbourg, a demandé que l’on ajoute dans une résolution que le Parlement européen s’engage à respecter les résultats du référendum irlandais. Une majorité de parlementaires a rejeté cet amendement. Ceci signifie que nos élites politiques cherchent à tout prix à nous imposer un schéma européen dont une partie des Européens ne veulent pas. Si l’on cherche à dicter par la force une Europe que les citoyens refusent, on connaîtra des mouvements de rejet de caractère nationaliste.
On le voit déjà notamment en Grande-Bretagne, où a été créé, lors des dernières élections générales, un parti d’extrême-droite anti européen. Une autre Europe est elle possible dans les faits·? Aujourd’hui, la force du courant néolibéral rend difficile de créer cette autre Europe. Je crois que nous allons dans le mur.
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Vous écriviez, en 2004 dans Europe la trahison des élites, qu’une crise est indispensable pour rééquilibrer l’ensemble. Or la crise née du rejet du TCE par les peuples français et néerlandais n’a pas entraîné de rééquilibrage·?
Ce rejet n’a en effet rien rééquilibré. Le projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe est issu de la Déclaration de Laeken que j’aurais volontiers signée. Les 15 gouvernements européens s’étaient entendus en 2001 sur ce texte. Mais les intentions de la déclaration ont été complètement modifiées par Valery Giscard d’Estaing (VGE) et sa convention. Ce texte très lucide pointait les problèmes démocratiques, écologiques, sociaux que connaît l’Europe. Et donnait mandat, après les échecs des tentatives de réforme des traités d’Amsterdam et de Nice, à la convention présidée par VGE, de reformer les Traités européens. Or, Giscard d’Estaing n’a pas du tout respecté ce mandat. Et ce déni de justice continue. J’espérais que le rejet du TCE entraînerait sa caducité. Car en vertu des règles de droit, un traité qui n’est pas signé par toutes les parties devient caduc. Il en va de même pour le Traité de Lisbonne. L’Irlande l’ayant rejeté, on aurait dû se débarrasser de ce texte. Qu’a-t-on vu en réalité·? Suite au rejet du TCE par les peuples français et néerlandais, la Commission européenne a dépensé des millions d’euros en communication pour dire que ce texte était un excellent traité. Quand José Manuel Barroso est venu à Paris, au printemps 2006 après le référendum français ayant rejeté le TCE, il a rencontré tout le monde à l’exception des tenants du «·non·». Les dirigeants européens n’ont même pas eu le souci d’essayer de comprendre les motivations des millions de personnes qui ont rejeté le TCE. Une telle attitude m’effraie car elle témoigne de la volonté intransigeante de poursuivre une orientation quelles que soient les résistances qui se manifestent.
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Vous reprochez à l’Union européenne d’aligner ses politiques sur celles des Etats-Unis et semblez craindre que cet alignement ne s’amplifie·?
En début d’année 2006, les élus européens ont adopté un rapport qui évoquait la nécessité pour l’Europe et les Etats-Unis de bâtir des liens transatlantiques plus forts. Ce rapport proposait la création d’un «·marché transatlantique sans entraves·» dans le domaine des services financiers, des marchés de capitaux et des services proprement dits. Ce partenariat économique transatlantique est un projet qui avance avec le soutien d’une majorité écrasante du Parlement européen. Plus récemment, Angela Merkel a signé, lors de la présidence allemande de l’Union européenne, un traité qui crée un Conseil transatlantique. Cette institution a rédigé des propositions dans la plus totale opacité. Cette Euro-Amérique, visant à étendre le modèle américain au marché européen en créant une vaste zone de libre échange entre l’Union européenne et les Etats-Unis, est en train de se faire. Le risque est de placer les économies des pays européens sous la coupe du système américain, des procédures américaines et des sociétés américaines.
Ce projet de partenariat économique transatlantique, qui représente un choix de société majeur, n’a pas été débattu dans les enceintes parlementaires européennes ni dans celles des Etats membres. Comme Pierre Bourdieu l’avait très bien décelé, «·l’Europe européenne fonctionne comme un leurre dissimulant l’Europe euro-américaine qui se profile ».
·Pour aller plus loin·:
*Europe, la trahison des élites par Raoul Marc Jennar (Fayard 2005)
* Quelle Europe après le non ? Par Raoul Marc Jennar (Fayard 2007)
* L’AGCS. Quand les Etats abdiquent face aux multinationales par Laurence Kalafatides et Raoul Marc Jennar (Raisons d’agir. 2007)
Pour consulter le blog de Raoul Marc Jennar·: http://rmjennar.free.fr/