«Quand on analyse ce que l’on consomme, on est amené à faire des choix.·»
Sylvain Gillot, berger, paysan·et·agri-sculpteur·évoque dans cet entretien· le cheminement, intuitif d’abord,
puis mûri intérieurement qui l’a amené à vouloir vivre en autarcie. Il explique le choix qui a été le sien de se diriger vers une agriculture écologique respectueuse des équilibres et du vivant. Des choix de vie ancrés dans une réelle spiritualité, une symbiose avec les éléments, la terre, les plantes mais aussi les animaux qu’il élève, source chez lui «·d’une énergie fabuleuse·».
Quand et pourquoi avez-vous fait le choix d’un autre modèle d’agriculture et d’élevage non conventionnel·?
Quand j’ai voulu me lancer dans l’agriculture il y a une dizaine d’années, il n’y avait pas encore une sensibilisation du public et des agriculteurs aussi poussée qu’aujourd’hui en faveur de la bio.
Ma motivation principale était d’abord de travailler sans machine, d’échapper à cette agriculture mécanisée à outrance. J’avais passé un baccalauréat économique qui m’avait permis de comprendre que la machine avait tué le travail. C’était mon cheval de bataille·: je voulais adopter une forme d’agriculture qui permette de travailler avec ses mains.
Ce choix d’une agriculture respectueuse a été conforté par la rencontre, au moment où je m’installais, d’agriculteurs établis dans une commune voisine qui cultivaient en biodynamie. Je me suis trouvé plus d’affinités avec leurs pratiques qu’avec celles des agriculteurs «·conventionnels·» pour lesquels j’ai travaillé auparavant comme commis de ferme.
Aujourd’hui, je suis en bio certifiée sur toute l’exploitation·: moutons, vergers, potager, miel. Je suis contrôlé depuis 9 ans. Mais, je pratiquais déjà ce type d’agriculture sans intrants, ni pesticides avant même d’avoir demandé une certification. Je le faisais alors de manière intuitive·: je n’avais pas envie de répandre sur le sol des produits chimiques.
Fabriquez-vous vous même les semences de votre potager·?
Jusqu’à maintenant, je les achetais en Belgique auprès de la coopérative Semailles. Ce sont des variétés anciennes cultivées en bio. Cette année, je vais produire mes graines pour la première fois. Je vais commencer par des graines de concombres, de courges, de tomates et d’aubergines qui sont simples à produire. C’est plus délicat, en revanche, pour les graines de salades et de radis.
Comment soignez-vous les 80 moutons de votre troupeau··?
Je les traite avec de l’homéopathie et des huiles essentielles. Je m’apprête à suivre une· formation en ostéopathie afin de suivre moi même mes animaux particulièrement après la naissance. Je ne les vaccine pas. Quand on commence à mettre le doigt dans l’engrenage, il faut les vacciner dès leur naissance jusqu’à leurs derniers jours. En l’absence de vaccin, ils développent leur immunité et parviennent ainsi à résister aux pathologies qui les entourent. Le problème du moment tient aux mutations des virus liées au réchauffement climatique. Cela va trop vite pour que l’animal s’adapte.
L’agnelage est elle une période importante dans la vie du berger·?
La naissance est comme la récolte d’un fruit. De la façon dont on a conduit son troupeau la saison passée dépend la bonne santé des futurs agneaux et la qualité du lait des brebis. Avant même la naissance, la période où la brebis est en gestation requiert du calme, une absence de bousculades et une bonne alimentation pour éviter les carences.
Quelles énergies utilisez-vous pour chauffer votre maison ?
Nous nous chauffons uniquement au bois. Je travaille le bois, je peux donc utiliser toutes les chutes que je récupère. J’aime le crépitement du bois qui se consume. Le feu, c’est aussi l’élévation.
Chauffer au bois suppose aussi d’accepter qu’il fasse frais chez soi, le matin au lever. Pour ma part, j’aime cette fraicheur matinale. De même, quand les gens viennent dîner chez nous, au mois de novembre ou de février par exemple, ils emmènent un pull. Moi, un tee -shirt me suffit parce que j’ai passé toute la journée dehors. Quand on travaille en plein air, on a toujours assez chaud chez soi le soir. Moins se chauffer permet aussi d’éviter de prendre froid en sortant dehors, l’hiver venu.
Comment est née votre volonté de vivre en quasi autarcie·?
J’avais suivi, au lycée, la filière économique en vue de passer un bac B. Ces cours m’ont permis de découvrir les problématiques économiques nationales et mondiales et notamment le mal-être lié au travail et le fléau du chômage ainsi que leurs répercussions sociales. J’avais envie de rompre avec ce système. L’idée de m’enfermer dans un métier me rebutait. Vers 19 ans, j’ai fait un voyage de fin d’études dans des pays pauvres, en Ethiopie et en Somalie, avant de m’installer. L’objectif de ce voyage était de m’aider à trouver ma voie.
Au retour d’Afrique, je ne savais toujours pas ce que je voulais faire mais je savais désormais ce que je ne voulais pas faire. Je ne voulais ni consommer ni produire des biens dont le processus de production était susceptible de nuire à d’autres êtres vivants. Je ne voulais pas, par exemple, acheter ou utiliser des jouets fabriqués par des gamins comme c’était le cas dans les pays pauvres que j’ai traversés. Devenus parents, comme je ne trouvais pas de jouets qui me convenaient pour nos gamins, j’ai décidé de les fabriquer moi même. Pour notre alimentation, je ne voulais pas acheter de poulets industriels élevés en batteries, ni des légumes insipides cultivés industriellement. C’était aliénant à mes yeux. J’ai donc décidé de faire mon propre potager. Cela a été la même démarche pour le mobilier. Je ne voulais pas me rendre chez Ikea pour acquérir des meubles dont le bois a été coupé à mauvaise sève. Ne pas acheter des meubles dont la fabrication contribue à déboiser des massifs forestiers essentiels pour l’équilibre de la planète. J’ai donc décidé de bricoler nos propres meubles. J’ai procédé de la même façon pour la construction des bergeries et la restauration de notre maison. J’ai horreur de faire des courses. Aller dans un magasin de bricolage m’ennuie. Je préfère aller à la carrière ou à la sablière. Il est plus facile de réussir une restauration ou une construction en utilisant des matériaux locaux. Je fais les choses simplement en utilisant les cailloux, le sable et le bois qui se trouvent près de chez moi.
Dès que l’on analyse ce que l’on consomme, on est amené à faire des choix. C’est ainsi qu’est née cette logique d’autarcie.
Néanmoins, les besoins d’un couple d’une vingtaine d’années sans enfant ne sont pas les mêmes que ceux d’un ménage de 30 ans avec enfants. Aujourd’hui, pour pallier au fait que je ne peux pas tout faire moi- même, je m’arrange pour trouver, en réseau, des gens qui fonctionnent comme moi mais dans d’autres domaines. C’est une forme d’autarcie mais à plusieurs. Je fais tous mes vêtements moi-même à l’exception de mes chaussures. Je les achète auprès d’un acrobate que j’ai eu l’occasion de rencontrer. Il est aussi fabricant de chaussures. C’est lui qui fabrique nos chaussures en nous laissant toute latitude pour choisir nous même le cuir et la forme que nous voulons.
Nous sommes évidemment amenés à acheter certains produits basiques, dans le commerce, comme du fil et des aiguilles par exemple. Mais tout est réfléchi pour travailler, pour échanger avec des gens qui conçoivent les choses de la même façon que nous. Avec des individus qui ne subissent pas leur travail, qui ne fabriquent pas un bien de consommation dans la douleur et dans la peine. C’est très important pour moi que les gens fassent leur travail avec passion et amour. Si j’achète un bol dans lequel je vais boire mon café, je veux que celui qui l’a fabriqué ait pris plaisir à le faire. Je ne peux pas utiliser un ustensile ou consommer un aliment qui a été fait par des gens qui ont éprouvé de la souffrance en y travaillant.
C’était comme si ce mal être était inscrit à l’intérieur du bol et que celui-ci polluait cet ustensile. En revanche, c’est magique de consommer un pain qui a été fait avec amour. Cela comble tout ton être, ton estomac et bien au-delà.
Cette sensibilité s’est de plus en plus développée chez moi au fil des ans.
Qu’en est-il de ce sentiment d’unité avec tout ce qui est vivant, la nature, les animaux que vous évoquez régulièrement? Est-ce un sentiment religieux·?
Ce rapport entretenu avec le règne végétal et animal m’a aidé à comprendre comment vivre le quotidien avec le plus de plaisir et d’intensité. Cultiver son jardin ou élever des animaux exige une présence quotidienne. On découvre, tous les jours, le processus d’épanouissement de la vie mais on doit aussi faire face à la mort·: une portée de lapin peut se trouver emportée, le jour même, par un renard. Les cycles de vie sont très variables dans le règne végétal·: certaines plantes durent une saison, d’autres un mois. Dans le règne animal on trouve aussi par exemple des papillons de nuit. Ces cycles de vie qui sont ceux du règne végétal et animal nous rappellent, à nous être humains, qu’il est essentiel de vivre pleinement le moment présent.
Certains ont recours à la méditation ou la prière pour cultiver leur être intérieur. Est-ce une pratique que vous partagez ?
La méditation·? Il me semble que je suis constamment en méditation. Pour moi, méditer consiste à vivre le présent le plus pleinement possible dans l’espace qui m’entoure -dans le jardin, ou aux champs avec les animaux par exemple- et à y puiser mon énergie.
Quand je cultive le jardin, je me sens comme entrer au milieu de la terre. Cette concentration peut-être, à mes yeux, assimilée à une forme de méditation.
Méditer, pour moi, c’est être en phase avec les éléments, être absorbé par eux.
Cette symbiose avec les éléments, avec la terre, comme avec les abeilles que j’élève par exemple, me donne une énergie fabuleuse. Il est important, si l’on veut capter ces énergies, d’être au meilleur de sa forme physique et psychique. Je parviens, pour ma part, à faire une sorte de purification de mon être à travers la pratique d’un sport intense·: je cours une quinzaine de kilomètres en forêt une fois par semaine. Cet exercice permet un nettoyage de l’être, physique comme cérébral. La course à pieds m’amène à une véritable extase que je pourrais comparer à une transe chamanique. Aucune drogue ne peut égaler ce sentiment de bien être. Courir permet de détacher le corps de l’esprit. L’esprit s’élève quand il est détaché du corps. C’est pour moi un moyen d’épanouissement important.
La création -la sculpture- occupe également une part importante dans votre vie. Comment est né ce désir de créer·?
Cela s’est mis en place progressivement du fait de ma volonté de vivre en autarcie. J’ai commencé par faire des bols en bois, des saladiers et des assiettes.
Le goût de créer est venu plus tard. Mes amis étaient tous plus ou moins artistes, musiciens ou chanteurs. Moi, je n’avais pas encore trouvé ce qui me convenait. J’ai commencé par étudier la sculpture en cours du soir au Musée de Semur-en-Auxois. J’ai demandé à la conservatrice, qui ne dispensait alors que des cours collectifs, si elle pouvait me donner des leçons particulières. Je lui ai dit que je voulais sculpter une tête de mouton pour la placer au-dessus de la bergerie. Apparemment séduite par le fait que je n’avais aucune volonté de faire carrière, elle a accepté. Etant motivé, j’ai appris assez vite.
Je me suis mis à travailler la sculpture directe. Créer est fondamental pour l’équilibre. Ce n’est pas dissociable du choix de vie que j’ai fait. On retrouve, à travers l’art, cette même connexion indispensable à l’épanouissement de la vie.